la boîte à rps (@Samuel Yang)

Elle a voulu s’aérer. Elle en avait peut-être besoin. Besoin aussi de voir autre chose, de prendre l’air, de sortir avant qu’il ne fasse trop chaud. Pourtant, il fait rarement trop chaud, à Weymouth. Ou même en Angleterre, de manière générale. Cela, elle l’a vite compris, Maybelle. Ce n’est pas comme l’Australie où elle est née, où elle a grandi, où elle a passé pour ainsi dire la quasi-totalité de sa vie. Non, c’est différent, ici. Et pour une fois, elle ne le vit pas mal. Après deux ans à vivre dans le coin, il faut croire que May a enfin trouvé sa place. Qu’elle s’y sent enfin chez elle. Presque. Elle n’est plus seule, elle n’est plus non plus l’étrangère à l’accent différent des gens du coin. Celle que l’on remarquait dès qu’elle ouvrait la bouche. Parce qu’elle est Australienne pure souche, May. Pourtant, elle a finalement réussi à se faire sa place dans le coin, à se faire accepter, à se lier. Et même, à aimer.
C’est encore tout récent. Mais c’est doux et agréable.
Une profonde quiétude qui lui avait manqué.
Qu’elle avait comme oubliée.

Elle se sent plus légère alors, en ce moment. La tête dans les nuages. Peut-être trop distraite, pas assez concentrée. Ce matin, elle s’est levée tôt, May, pour aller se balader. Ce qu’elle aime, surtout, c’est faire un tour sur la côte dès potron-minet, sentir le vent souffler, les dunes s’agiter. Aujourd’hui, ses pas l’ont menée jusqu’à Osmington Hills, au paysage incroyable. Elle se souvient du moment où elle l’a découvert, elle se souvient encore comment elle a été époustouflée. L’Angleterre est bien différente de l’Australie, mais elle possède nombre de merveilles en pleine nature. Et May, elle croit être bien tombée avec Weymouth.
Alors elle se balade, le long du parcours. Aujourd’hui, elle ne fera pas le grand tour – d’ailleurs, elle ne tardera sans doute pas à faire demi-tour. Elle prend quelques photos, ici et là. Admire les cascades. Toujours, peut-être un peu trop, la tête dans les nuages. Au fond, cela ne lui ressemble pas ; ou alors, cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Mais c’est agréable, cela fait du bien. Peut-être trop ; car May, en reprenant sa marche, ne fait pas attention à un trou. Son pied vient alors se loger dans ce dernier. La faisant trébucher, lui causant une frayeur. « Merde ! » laisse-t-elle échapper, dans un léger cri, se retrouvant bientôt à terre, tombant sur ses genoux. La chute lui arrache une légère grimace, d’autant plus qu’elle sent bien vite que sa cheville la fait souffrir. Et quand elle essaie de libérer sa cheville du trou, elle se rend compte que sa chaussure de marche est restée coincée. Elle ne sait pas si c’est la chute, la légère douleur ou le manque de force, mais elle n’arrive décidément pas à la retirer, May. A ce moment-là, elle croit apercevoir quelqu’un, au loin. « Excusez-moi ? Est-ce que vous pourriez m’aider ? » ose-t-elle demander. Espérant qu’il pourra l’aider. Sinon, il faudra peut-être qu’elle abandonne sa chaussure là.

la boîte à rps (@May Alger)

Voilà plus d’un mois désormais que Samuel est venu s’installer à Weymouth. Les sentiments bruts éclatent dans son esprit comme des milliers de bulles de savon. Retrouver Noeh après ces semaines passées à douter, à se demander s’il agissait comme il le fallait, Samuel a finalement choisi de frapper à sa porte et ils se sont revus. Une fois, deux fois, trois fois… Les draps dans lesquels Noeh a dormi, saoul, tandis que lui s’est remis à composer à son bureau, ne portent déjà plus son odeur.
Les insomnies sont tout aussi nombreuses que les pensées qui s’agitent dans le crâne du jeune homme. Sa rétine s’abîme à observer l’écran de son ordinateur, désireux d’écrire quelque chose, de sentir ne serait-ce qu’une mélodie s’échapper d’entre ses lèvres. Rien ne vient et il s’agace, ferme les poings après avoir fermé le clapet de l’écran. A quoi bon ? Ses émotions s’accumulent au creux de sa gorge serrée.
Alors Samuel se change rapidement, enfile ses baskets, met ses écouteurs dans ses oreilles et quitte son appartement pour courir. Se vider la tête. Il est encore tôt, et qu’importe, c’est à ce moment de la journée qu’il fait le meilleur. Il longe la mer, s’envoûte des relents d’iode qui viennent jusqu’à lui et qui l’entraînent plus loin encore. Le jeune homme calque sa course au rythme des chansons qui passent dans ses oreilles.

Il ne s’égare pas, pas vraiment.

Les paysages l’emmènent vers des petites hauteurs. Sam suit les sentiers tracés sur le sol. Son cœur bat déjà plus vite, il sent les perles de sueur dans son dos. Rien n’importe parce que le visage de Noeh n’a de cesse de s’imprimer au sein de ses songes. Il en est fou et il le rend fou. Il le lui a déjà dit. Comme des mots d’amour sans que cela n’en soit tout à fait. Alors il poursuit son activité, seul au beau milieu de la nature ressourçante. C’est agréable.
Ce n’est que plusieurs minutes après qu’il aperçoit une autre promeneuse. La musique qui vrille toujours ses tympans ne lui permet pas de l’entendre appeler à l’aide. Sam a pourtant ralentit ses pas, reprend peu à peu son souffle. Que fait-elle ? Agenouillée par terre, est-elle en train de ramasser ou de cueillir quelque chose ? Sam a le réflexe de finir par éteindre sa musique tout en s’approchant. Et il semble avoir bien fait.
— Je suis désolé, avec la musique, je n’ai pas entendu… Attendez, je vais vous aider.
Il s’en veut un peu d’avoir été focalisé sur ses problèmes alors que cette jeune femme a besoin d’aide. Il s’accroupit à son tour et se permet de glisser un bras autour de sa taille afin de lui permettre de prendre un certain appui pour qu’elle puisse se relever. Il voit alors une sorte de petit trou, probablement le terrier abandonné d’un petit animal sauvage et échange un regard avec son interlocutrice.
— Votre chaussure, n’est-ce pas ? On va vous installer sur le tronc d’arbre là-bas, et je vais voir ce que je peux faire, d’accord ?
Le compositeur attend son approbation avant de faire le plus doucement possible pour la conduire vers le tronc où elle pourrait s’asseoir ; souffler un peu.

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Sur la côte, au bord de la mer, tout paraît plus simple. Il y a juste le bruit des vagues qui s’écrasent sur les rochers, le vent qui souffle sur les visages, font vaciller les fleurs et les plantes qui poussent sur la dune. Sur la côte, la vue est belle, le monde rare – du moins, à cette heure-là. Sur la côte alors, on se sent respirer, pour de vrai. C’est agréable, cela fait du bien. C’est pile ce dont May, ce matin, avait besoin. Respirer. Peut-être pour garder la tête froide. Pour retrouver ses esprits. Garder un pied dans la réalité. Car depuis quelques temps, elle a l’impression de se laisser entraîner dans ses fantasmes, guider par ses émotions. Elle est heureuse de ce qui se construit avec Luke, mais au fond, elle n’est pas toujours sûre que cela suffise. Pas sûre que cela fonctionne toujours. Pas sa faute, à lui. C’est juste que May, elle n’est pas sûre de pouvoir composer avec sa fille. Elle est adorable, pourtant. Mais Maybelle se dit qu’elle n’est pas douée avec les enfants. Oublie qu’elle s’est occupée, pourtant, de ses demi-frères et demi-sœurs, un temps. Mais ce n’était pas la même chose. Là, elle serait belle-mère – elle l’est déjà, dans le fond.

Elle sait qu’il faudra être honnête à un moment ou l’autre. A moins qu’elle n’arrive à dépasser ses appréhensions, ses préjugés. Elle pourrait, pas vrai ? Elle en doute, pourtant, May. Elle, elle sent que cela posera problème à un moment ou l’autre. Alors, il faudra renoncer à Luke et au petit bout d’histoire qu’ils ont commencé à deux. Dommage. Elle, elle n’a pas envie que cela s’arrête – alors que tout commence à peine.
Elle a la tête ailleurs. A un moment ou l’autre, il faudra être honnête. Et cela l’angoisse. Peut-être est-ce pour cela qu’elle se prend le pied dans un trou : parce qu’elle ne regardait pas. Parce qu’elle ne faisait pas attention. Parce que l’esprit était jonché de pensées allant dans tous les sens. Maintenant, elle le regrette, May. La douleur est immédiate, elle se retrouve sur le sol, la cheville foulée. Seulement, voilà : quand elle essaie de se relever, elle n’y arrive pas. Puis elle aperçoit quelqu’un au loin, qu’elle interpelle, tant bien que mal. Parvient, après quelques minutes, à capter l’attention du jeune homme qui s’excuse, expliquant qu’il écoutait de la musique. « Y’a pas de mal, je comprends. » Elle esquisse un léger sourire, May, léger parce que la douleur, elle la ressent toujours. Parce que la situation l’inquiète un peu, quand même. Ce n’est pas dramatique, mais pas agréable non plus. En tout cas, le jeune homme ayant annoncé qu’il allait l’aider, le voilà qui s’accroupit et enroule son bras autour de sa taille pour l’aider à sortir de là. Il semble remarquer ensuite que sa chaussure est coincée. « Oui, je n’arrive pas à l’en dégager et ça me fait trop mal pour l’instant. » Elle grimace, à nouveau. Voudrait rester optimiste, mais craint trop ce que cela va donner, quand elle sera debout. Si seulement elle y arrive. « Okay. Merci pour votre aide, c’est vraiment gentil. » Elle est touchée, May. Après tout, il aurait pu la laisser se débrouiller. Mais il l’aide, et c’est déjà beaucoup.

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Si Sam ne s’estime pas être une personne particulièrement chanceuse, la jeune femme devant lui paraît être dans le même lot que lui. Il s’avance donc vers elle en s’excusant de ne pas l’avoir entendu à cause de la musique (trop forte) qu’il écoutait un instant auparavant. A présent que ce problème s’est résolu, il est désormais question de s’accroupir pour tenter de remettre son interlocutrice sur ses pieds dont l’un s’est coincé dans ce trou.
— Quel genre d’animal peut bien avoir creusé ce trou… Ils devraient mentionner de faire attention où mettre les pieds sur ce sentier.
Il marmonne un peu pour lui, bien conscient qu’il aurait lui-même pu se blesser comme la demoiselle. Heureusement, comme elle, il est du genre matinal. Il n’ose pas songer qu’elle aurait pu demeurer bloquée de la sorte jusqu’à ce que quelqu’un passe enfin près d’elle… Combien de temps aurait-elle eu à patienter ?
— Est-ce que vous êtes prête ? Appuyez-vous au maximum sur moi pour soulager au mieux votre cheville.
Sa taille entourée de son bras, il attend son signal pour exercer un mouvement vers le haut. Sam tente d’accorder sa force à celle de la jeune femme en espérant ne pas lui faire plus mal qu’elle ne semble déjà avoir.
— Ne me remerciez pas avant qu’on ait réussi à vous sortir de là.
Il lui sourit, en plaisante légèrement car il se dit toujours qu’il vaut mieux détourner les situations les moins agréables en des instants plus doux – quand c’est possible, bien sûr. Certaines fois, les seuls désirs que l’on peut avoir sont ceux de s’ensevelir sous ses couvertures et ne plus jamais en sortir. Qu’importe tout le reste autour de soi, on reste enfermé dans des pensées et un état d’esprit épuisant.
A l’évidence, ces derniers jours n’ont pas été des plus reposants pour le garçon. Fraîchement arrivé d’ailleurs, fraîchement célibataire, avec le coeur en vrac. Les compositions n’existent même plus sur son ordinateur qui demeure allumé nuit et jour sans qu’aucune ligne n’y soit inscrite. Courir est l’une des choses permettant à Samuel de faire le vide dans son esprit, ou presque, avant que la réalité ne revienne l’ébranler de plein fouet.
— Est-ce que ça va ? On y est presque on dirait. Je vous amène vous asseoir là-bas, d’accord ?
Patient et attendant le signal de son interlocutrice une nouvelle fois, Sam la maintient au mieux pour qu’une éventuelle autre chute ne survienne pas. Quelques pas seulement les séparent du tronc d’arbre couché sur le sol. La jeune femme pourra y reprendre son souffle et, éventuellement, découvrir l’état de son pied, de sa cheville. Sam songe un instant que pour redescendre d’ici il faudra peut-être se débrouiller autrement.

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Il faut croire qu’elle n’a pas beaucoup de chance, aujourd’hui, May. La faute peut-être au million de pensées qui tournent en boucle dans sa tête, et la distraient. Difficile alors, de rester concentrée, d’être surtout attentive au monde qui l’entoure. Elle se baladait tranquillement, mais visiblement sans regarder où est-ce qu’elle mettait les pieds. La faute à pas de chance, peut-être que ç’aurait pu arriver à n’importe qui – ou peut-être est-ce simplement elle, la citadine, qui n’a vraiment toujours pas l’habitude de la nature. Cela fait cependant plus de deux ans qu’elle est arrivée à Weymouth, un peu impulsivement, n’ayant pas réfléchi vraiment à l’endroit où elle mettait les pieds. A dire vrai, à l’origine, elle ne pensait pas rester – mais le b&b lui avait plu, elle s’était attachée au projet, peut-être aussi à Luke qui, une fois, s’était agacé des efforts qu’il fournissait pour la rénovation, alors qu’elle pensait s’en aller quand ce serait terminé. Peut-être bien qu’il avait joué un rôle dans son envie de rester, finalement. Peut-être. Maintenant, quand elle y repense, la blonde, elle voit tout différemment.
Car aujourd’hui, le cœur est plein d’un amour qu’elle ne s’avouait pas alors.

Mais on dit bien que l’amour fait tourner la tête. Preuve en est maintenant, alors que la blonde s’est pris le pied dans un trou, se tordant douloureusement la cheville. Enfin, elle imagine qu’il ne s’agit que d’une cheville foulée – rien de grave, même si cela fait mal. Elle a quand même besoin d’aide pour se sortir de là et se relever. Alors elle a interpellé cet inconnu, à présent près d’elle. « Je me le demande aussi. » Elle lâche un léger rire, May. Autant s’amuser de la situation. Il y a un an de cela, peut-être, elle n’aurait pas trouvé cela très drôle. Mais elle a un peu changé, la blonde. A fini par trouver sa place à Weymouth. S’y sentir bien. Elle a un peu moins le mal du pays désormais. « Je ne sais pas pour les panneaux, j’aurais sans doute dû faire plus attention. J’étais un peu ailleurs. » avoue-t-elle. Mais n’est-on pas souvent ailleurs, quand on se promène ? Souvent, c’est l’occasion de déconnecter ses pensées, ou au contraire, de s’y perdre complètement. C’est le cas de Maybelle, en tout cas. « Oui, je suis prête. » répond-elle en s’appuyant sur lui, comme il le lui a indiqué. Lui, il a enroulé son bras autour de sa taille, afin de pouvoir la relever, la tirer en arrière, pour libérer son pied. Il le fait ensuite, et le pied de la blonde se dégage un peu plus du trou. Ils y sont presque, comme le jeune homme le lui indique, s’enquérant de son état, lui demandant si ça va. « Oui, ça va. Et ça me va d’aller là-bas ensuite. » Histoire de pouvoir se poser, s’asseoir, sur autre chose que sur le sol. « On peut retenter quand vous voulez. » Il ne reste qu’à la tirer encore un peu. La douleur est moins vive, pas autant qu’elle ne l’imaginait – dans le fond, c’est plus la cheville que le pied, qui est quelque peu blessée.

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Samuel se contente d’acquiescer doucement de la tête lorsque son interlocutrice lui avoue avoir été perdue dans ses pensées et, bien sûr, n’avoir pas pas prêté attention à ce petit piège bien caché. Il connaît un peu ça, lui aussi, plus particulièrement depuis son arrivée dans la région. Il ignore s’il s’agit d’une sorte de test pour ne plus être un étranger venu en quête de quelque chose ou s’il s’agit seulement d’une éternelle malchance qui se poursuit.
Le bras du jeune homme entouré autour de la taille de la demoiselle, Sam reste prudent pour l’aider à sortir son pied de là. Il n’a pas envie de lui faire mal. Il attend son aval avant qu’ils ne réussissent peu à peu à faire glisser la cheville hors du trou. Sam lui demande si tout va bien et propose de se rendre ensuite sur le tronc d’arbre non loin de là. Elle semble en accord avec sa proposition.
— Je pense que cette fois-ci sera la bonne. Vous y êtes presque.
Il se veut encourageant, rassurant, et la dernière tentative est une réussite en seulement quelques minutes supplémentaires. Sam soutient son interlocutrice pour la conduire à s’asseoir et il se permet de s’installer près d’elle. Il ne lui propose pas tout de suite de regarder sa cheville, plutôt désireux qu’elle la manipule avec précaution car la douleur est impossible à jauger.
— Comment est-ce que vous vous sentez ?
Il lui adresse un sourire en observant tour à tour les expressions sur son visage puis sa cheville. Il n’ajoute rien de plus, lui laissant le temps de reprendre son souffle. Sam déporte un instant son attention sur le paysage qui les entoure et il songe avec amertume que la nature peut être aussi douce qu’inattendue.
La couleur du ciel se teint de belles couleurs, annonciatrices, sans doute, d’une journée douce. Il ferme à peine les paupières, imaginant une mélodie, des paroles, mais l’évidence d’un faciès inoubliable étreint son cœur et s’impose à ses pensées. C’est pour ça qu’il ne parvient pas à composer, encore moins à dormir, et qu’il est venu là, ce matin, pour courir et tenter de respirer un peu plus convenablement. Comment y parvenir quand l’amour submerge autant qu’il détruit ?
Sam se redresse et se tourne vers la jeune femme.
— Au fait, je m’appelle Samuel. C’est une drôle de rencontre, n’est-ce pas ? En tout cas, j’espère que vous n’êtes pas venue ici avec votre vélo ou votre voiture, car j’ai bien peur qu’il faille le laisser sur place.
Un nouveau sourire a repris place sur son visage.
— Je vais vous aider pour aller à l’hôpital. Ils vous feront les soins nécessaires.

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Il y a encore quelques mois de cela, elle aurait été pessimiste, May. Il y a même encore un an, elle aurait pris cette chute comme une preuve supplémentaire du fait qu’elle n’a rien à faire ici. Parce qu’elle a mis du temps à s’adapter à Weymouth, du temps à s’adapter à l’Angleterre, de manière générale. Elle, elle venait d’Australie, y avait toujours vécu. L’avait pourtant quittée, presque sur un coup de tête – décidée à commencer une nouvelle vie, se lancer dans une aventure inédite, loin de ce qu’elle avait toujours connu. Mais l’adaptation avait été difficile, longue, douloureuse. Elle avait souffert si souvent du mal du pays, May. Elle avait eu du mal à s’y faire, du mal à s’habituer à des mœurs et à une culture si différentes des siennes. Elle ne s’était pas sentie très à l’aise, elle s’était surtout sentie très seule. Mais elle y est arrivée, Maybelle. Elle s’est habituée, a trouvé ses marques, a commencé à se sentir chez elle, à Weymouth.
Alors ce matin, elle ne voit pas sa chute comme un signe qu’il vaut mieux qu’elle s’en aille. A son humble avis, cela trahit surtout combien elle est à l’ouest, la blonde. Combien son esprit est ailleurs. Le cœur trop inquiet. Empli de millions de choses.

Voilà à quoi cela l’a conduite. A se tordre probablement la cheville. Rien de dramatique. Mais cela est quelque peu douloureux. Et seule, elle n’aurait jamais su se relever, May. Seule, elle serait sans doute restée là un bon moment. Heureusement sans doute que ce jeune homme est arrivé, venu pour l’aider. Qui sait combien de temps, sinon, elle aurait passé encore dans cette inconfortable position. L’inconnu lui vient en aide, alors. Essaie, du moins, de l’aider à pouvoir libérer son pied du trou, où sa chaussure reste coincée. Il s’apprête à tenter de la tirer encore, lui dit que cette fois, ce sera sans doute la bonne. « J’y crois. » Elle laisse échapper un léger rire, la blonde, mais grimace malgré tout. Cette situation est loin d’être agréable, sans doute autant pour lui que pour elle – néanmoins, elle lui est reconnaissante qu’il lui vienne en aide. Et justement, après un ultime effort de la part du jeune homme, il arrive à la libérer de cette situation, puis la soutient pour l’aider à rejoindre le tronc d’arbre, non loin de là, où elle peut s’asseoir. Une fois assise, May, elle lâche un soupir de soulagement. « Plus de peur que de mal, j’imagine. Quoique ma cheville me fasse un peu mal. » Elle grimace, à nouveau. « Merci encore pour votre aide. Je ne sais pas combien de temps je serais restée coincée là, sans vous. On dirait bien qu’il n’y a beaucoup de personnes très matinales, dans le coin. » Petite plaisanterie pour détendre l’atmosphère – ou se changer les idées, à elle-même. Car, c’est vrai, sa cheville la fait quelque peu souffrir. Un temps, le silence s’installe. Puis le jeune homme reprend la parole, se présente, enchaîne en évoquant les circonstances de cette rencontre. « Enchantée, Samuel. Je m’appelle May. » répond-elle, souriant sincèrement. « En vérité, j’ai pris le bus, mais dans tous les cas, je crois que c’est compliqué. » grimace-t-elle. Car il faut quand même aller à pied jusqu’à l’arrêt, puis de l’arrêt d’arrivée jusqu’à chez elle. « C’est gentil, mais je ne veux pas vous déranger plus longtemps. Et puis, je n’ai sans doute pas besoin d’aller à l’hôpital. » Quoique – elle reste sans doute un peu dans le déni, May. Ne s’est pas encore levée toute seule, ni très appuyée sur son pied. Mais cela fait mal, et au fond, elle le sait. Elle le sent.

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Les prunelles perdues sur le paysage qui s’offre à lui, Samuel abandonne un léger soupir. L’endroit est agréable et ça fait du bien. Installé sur ce banc de fortune avec une inconnue près de lui, le compositeur se dit que c’était peut-être ça qu’il est venu chercher ce matin-là. Une compagnie nouvelle, changer d’air, découvrir autre chose que tout ce qui remue dans son être depuis ces dernières semaines. Bien que les circonstances de leur rencontre ne soit pas des plus classiques, Sam tend à penser qu’il y a une raison cachée à tout ce qui survient dans la vie de quelqu’un.
Une main derrière sa nuque, il rit légèrement aux paroles de son interlocutrice.
— Vous avez raison, je n’ai rencontré que vous pendant ma course.
Il n’a pas chronométré le temps qu’il a passé à fouler le sol de ses pieds, cependant, May, dont il vient d’apprendre le prénom, est l’unique visage qu’il a croisé dans cet endroit. Est-ce que cela signifie que la ville en générale est calme et apaisée ? Ce bien-être finira-t-il par enivrer Sam à son tour ? Pourtant, elle garde près d’elle la silhouette tendre du garçon qu’il est venu rejoindre à Weymouth.
L’attention du jeune homme revient s’intéresser à la cheville fragilisée et il esquisse une légère moue emplie de doutes quant aux mots de May. Il secoue la tête et lui désigne cette foulure.
— Je ne suis pas médecin, mais si vous ne vous faîtes pas soigner, vous allez sûrement aggraver cette blessure.
Il a un peu pivoté sur le tronc de l’arbre pour être de biais, tourné face à la jeune femme. Il ignore encore tout d’elle seulement il ne compte pas la laisser dans cette situation. Il l’aide depuis le début et il est hors de question qu’il ne l’emmène pas se faire soigner comme il faut.
— Désolé de vous dire ça, mais je ne vous laisse pas le choix.
Quitte à la porter sur son dos s’il n’y a que cette option !
Il lui sourit néanmoins avec bienveillance avant de reprendre la parole pour permettre à sa curiosité de s’éveiller davantage.
— Je peux vous demander ce que vous êtes venue faire si tôt ?
Parce qu’étrangement, au fil des dialogues faits, Sam a cru reconnaître l’accent australien. Lui-même natif de ce pays, cela fait bien des années qu’il n’y est pas retourné – en dehors des quelques dates de concert qu’ils ont pu faire avec son groupe. Il se rappelle avec bonheur tous les bons moments qu’il a passés là-bas, comme l’impression que tout était plus simple. Et puis l’arrivée en Corée, les regards et les critiques, son ascension au cœur de l’industrie musicale jusqu’à ce retour au calme. Toutefois, malgré les hauts et les bas, la Corée a fini par se transformer en une expérience unique pour lui.
— Ça ne fait que quelques mois que je suis arrivé pour vivre ici. En fait, je suis venu pour rejoindre quelqu’un, mais je ne sais pas toujours très bien où j’en suis.
Où nous en sommes.
— Courir m’aide à réfléchir ou à faire le vide. Ça dépend beaucoup des jours.
Il rit légèrement avant d’étirer ses bras.

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Ce n’était peut-être pas son genre. Peut-être aurait-elle mieux fait de rester chez elle, ce matin, Maybelle. Mais elle avait eu envie de sortir, envie de prendre l’air. Envie de profiter de la fraîcheur du matin. De marcher un peu sur la côte, de contempler l’océan. C’est qu’elle a pris goût à Weymouth, la blonde, avec le temps. C’est qu’elle s’est attachée à la ville, à ses habitants. Il était peut-être temps. Mais il fallait qu’elle s’y fasse, qu’elle trouve ses marques, qu’elle trouve sa place. Elle se sent légitime, aujourd’hui, à Weymouth – en tant qu’habitante, en tant que propriétaire du Corner Cottage, en tant qu’Australienne. Elle ne se sent plus autant étrangère, elle ne se sent plus autant jugée pour son accent ou ses expressions très spécifiques. Et surtout, elle prend plaisir à se balader dans les rues de la ville, à découvrir toujours plus les alentours. On dirait presque qu’elle est devenue une toute nouvelle personne, May. Peut-être est-elle heureuse, aujourd’hui. D’autant plus qu’à présent, elle a Luke. Mais justement – elle n’est pas tout à fait heureuse, ou en tout cas pas tout à fait épanouie, car pas tout à fait sereine. Il y a quand même des choses qui la chiffonnent, lui prennent la tête.

C’est sans doute pour cela qu’elle s’est cassée la figure, la blonde. Elle, elle n’avait rien vu venir – ne faisait peut-être pas assez attention à là où elle mettait les pieds. Peut-être qu’elle aurait pu l’anticiper, ce trou – peut-être pas. En tout cas, heureusement que cet inconnu est passé par là, sinon, elle serait peut-être restée coincée là un bon moment encore. Il lui confirme d’ailleurs ne pas avoir croisé grand-monde durant sa course. « C’est bien ce qui me semblait. » Elle grimace un peu, May, ponctuant malgré tout ses mots d’un léger sourire. Peu importe – elle a eu de la chance, elle est tombée sur lui et il a pu l’aider à rejoindre ce tronc d’arbre. Samuel, s’appelle-t-il, comme il se présente ensuite. Lui, il pense qu’elle devrait aller se faire soigner. La perspective de se rendre à l’hôpital, même de si bon matin, est loin d’être réjouissante. « Je ne vais peut-être pas pouvoir faire la difficile, de toute façon. » Surprenant – avant, Maybelle, elle aurait fait sa diva, sa drama queen, peut-être, même. Mais il faut croire qu’elle a évolué, quelque peu changé, depuis qu’elle est à Weymouth. Depuis aussi qu’elle côtoie Luke. En tout cas, Samuel annonce qu’il ne lui laisse pas le choix, à propos de sa blessure et du fait qu’elle doive se faire soigner. « Si vous ne me laissez pas le choix, alors… » Elle laisse échapper un léger rire, May. Autant voir les choses avec légèreté, même si cela ne lui fait pas oublier combien sa cheville la fait souffrir désormais.
La conversation dérive alors sur ce qu’elle est venue faire ici, ce matin. Si tôt. C’est vrai que ce n’est pas si courant, dans le fond. « J’avais juste envie de faire un tour, de prendre l’air. C’est plus agréable à cette heure-ci, il y a moins de monde, on ne se marche pas dessus. » Car Osmington Mills est très apprécié. « Puis ici, la vue est magnifique, vous n’trouvez pas ? » Question rhétorique, au fond, elle est certaine que tout le monde penserait la même chose. Pas besoin de retourner la question à Samuel, il s’explique plus ou moins de lui-même – et May l’écoute attentivement. En réalité, elle le comprend terriblement. « Je comprends. Je ne suis pas d’ici non plus, ça demande un petit temps d’adaptation. » Et pour cause, dans son cas, l’Angleterre est très différente de l’Australie, ne serait-ce qu’au niveau du climat. « C’est déjà une bonne chose si vous connaissez quelqu’un. Cela peut être un point de repère. » Elle lui sourit, à ces mots. N’ose pas en dire plus, ou poser d’autres questions pour le moment. Ne sait pas comment interpréter cette façon qu’il a eu de dire qu’il ne savait pas très bien où il en est.