Ça faisait trop longtemps qu’elle n’avait pas éprouvé tout cela. Trop longtemps qu’elle n’avait pas souffert comme cela. Tout à coup, elle avait compris pourquoi elle avait voulu se tenir à l’écart des histoires d’amour, May. Pourquoi elle avait ressenti le besoin de faire un break, de prendre ses distances avec Ezra, de rompre même, de prendre du temps juste pour elle. On pourrait peut-être aisément penser qu’elle est compliquée, Maybelle – mais avec Ezra, elle n’était plus heureuse et elle ne pensait pas demander la lune, au fond. Elle voulait juste un peu d’attention, un peu de tendresse, quelques efforts ; détestait la routine qui s’était installée entre eux, détestait l’impression qu’Ezra s’était à ce point contenté de leur histoire en la prenant peut-être pour acquise. Elle avait fini par partir, May, sans doute en proie à une crise existentielle à la suite de plusieurs événements – elle avait fini par partir, parce que leur histoire lui faisait plus de mal que de bien et parce qu’elle sentait que leur relation avait atteint le point de non-retour. Elle n’a jamais regretté cette décision, May. Elle est allée de l’avant, elle a débarqué en Angleterre, et depuis, elle a retapé puis ouvert son propre b&b.
Et puis, elle est retombée amoureuse aussi.
Mais au bout du compte, c’est aussi douloureux.

Elle n’arrête pas d’y repenser, en boucle. Elle poursuit sa vie, May, elle l’a toujours fait – elle aime peut-être à jouer les princesses, les précieuses, mais elle ne va pas s’arrêter de vivre pour un homme. Elle ne déteste pas Luke, pourtant, depuis la dernière fois. Elle ne le déteste pas, parce qu’elle comprend. Mais elle n’a pas refait de pas vers lui, n’a pas su que lui dire. Pas voulu le presser, pas voulu le faire paniquer. Elle s’est tue pour lui laisser l’espace qu’il méritait, l’espace dont il avait besoin. Mais elle a mal, May. Elle y pense tout le temps. Elle a l’impression que sa tête est à deux doigts d’exploser, à force d’y songer – que son cœur n’est pas loin de faire de même, à battre douloureusement comme il le fait. Elle se sent comme une gamine, comme une adolescente connaissant ses premiers émois – ou plutôt, come une adolescente qui vit un chagrin d’amour pour la première fois. Pourtant, Luke ne lui a pas brisé le cœur, Luke ne s’est certainement pas comporté comme un connard.
Les choses se sont juste compliquées l’autre fois.
Et elle ne sait pas comment réagir, depuis. Ne sait pas si elle doit revenir vers lui. C’est de ne pas savoir, qui la tue – c’est d’être dans l’attente d’elle ne sait trop quoi. Ce n’est pas du tout la faute de Luke, alors, si elle a mal comme cela – c’est juste le propre de l’amour, à ses yeux. Qu’on le veuille ou non, cela finit toujours par rendre malheureux. Elle s’est arrêtée sur cette vision négative, la blonde. Regrette de se mettre dans cet état, voudrait pouvoir en sortir en un claquement de doigts – mais cela ne fonctionne pas comme cela.
Et puis, Luke a fini par lui envoyer un message. Par revenir vers elle. Elle a appréhendé en voyant son prénom sur son téléphone, May. Craignant peut-être qu’il ne change d’avis, qu’il préfère qu’ils ne se voient plus. Pas prêt pour une autre femme. Mais il avait l’air de vouloir quand même essayer. De vouloir lui expliquer, pour l’autre fois – même s’il n’y était pas obligé. Elle a peut-être son caractère, la blonde ; mais elle comprenait. Elle comprend, elle est plus empathique, qu’elle n’en a peut-être l’air. Alors quand il a proposé qu’ils se retrouvent pour aller manger un truc ensemble, elle a accepté. Peut-être pas complètement rassurée, toujours aussi stressée, mais un petit peu soulagée. Parce qu’il voulait quand même la voir.

Elle est là, maintenant, May. Elle respire un grand coup avant d’entrer dans la petite brasserie où ils doivent se retrouver. Elle part déjà s’installer à une table, constatant qu’il n’est pas encore là, et elle retire son manteau d’hiver, qu’elle pose sur sa chaise, avant de déposer son sac sur celle d’à côté. Un peu nerveusement, elle sort son téléphone pour scroller en attendant que Luke n’arrive. Et, quelques instants plus tard, elle ne tarde pas à entendre des bruits de pas, à percevoir une présence dans le coin de l’œil, jusqu’à lever la tête, jusqu’à lui. « Oh, hey. » fait-elle, avec un sourire un peu timide, sans doute avec un peu de surprise. Comme s’ils tombaient l’un sur l’autre par hasard, alors que c’est prévu. Qu’est-ce qu’elle est censée dire ou faire, maintenant ? Instinctivement, elle se lève, mais après, May, elle ne sait plus. Elle reste là, debout, toute bête. N’osant pas s’avancer pour l’embrasser, parce qu’après tout, en fin de compte, elle ne sait pas du tout ce qu’ils sont. Ne sait plus où ils en sont.

Il a merdé Luke, il le sait. Il s’était juré que tout allait bien aller. Qu’il voulait de cette relation avec elle. Qu’il voulait essayer. Avancer. Il était temps pour lui, de le faire. De continuer à vivre sa vie, même si Abby n’était plus là. Étrangement, c’est avec May. Lui qui au début la détestait et était persuadé qu’il ne s’entendrait jamais avec elle. Et pourtant ... Et pourtant, tout a changé. Vite. Peut-être un peu trop vite. Luke, il a fini par s’attacher à l’australienne, par l’apprécier. Elle n’était pas si terrible, en fin de compte. Il a appris à la connaître et il a découvert, Luke, une autre facette de sa personnalité. Plus douce et délicate, plus drôle et sincère. Il ne se l’avoue pas encore, Luke, mais il a réussi à retomber amoureux. Amoureux de May et ce contre toute attente. Ils s’étaient dit, pourtant, qu’ils prendraient le temps. Luke, il ne sait pas encore s’il est totalement prêt ou pas à se mettre dans une nouvelle relation. D’autant plus qu’il n’est pas tout seul le pompier. Il a Luisa, sa fille. Rien n’est facile, en réalité. Il pensait pourtant y arriver. Et alors que leurs lèvres se collaient l’une à l’autre, il a merdé. Il n’a pas réussi, bien que l’envie fût là. Il s’est enfui Luke et peut-être qu’il n’aurait pas dû.
Il l’a tout de même contactée, May. Pour s’excuser. Pour lui dire qu’il était désolé. Et désolé, il l’est. Peut-être qu’il l’a déçue. Peut-être qu’elle se dit, May, que tout ça est voué à l’échec entre eux, car Luke ne sera peut-être jamais prêt à s’ouvrir, à aimer quelqu’un d’autre. Il se pose beaucoup de questions, Luke. Mais il voudrait s’expliquer. La rassurer. Espérant qu’elle ne lui en veuille pas trop et qu’elle comprenne. Il se pose beaucoup de questions, oui. Et il espère qu’il aura quelques réponses, lors de ce repas.

C’est tout de même la boule au ventre qu’il se rend à la brasserie où ils se sont donné rendez-vous. Il a été ravi, Luke, de savoir qu’elle était partante pour qu’ils mangeant un bout. Peut-être qu’ils arriveront mieux à discuter, entourés d’autres personnes. Car la tentation est bien trop présente, lorsqu’ils se retrouvent seuls dans une pièce. Et la dernière fois, rien ne s’est passé comme prévu. Il prend son courage à deux mains et pousse la porte de l’établissement, ne sachant nullement si la blonde est déjà présente, ou pas. Il laisse son regard analyser la pièce et celui-ci se pose facilement sur May. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres alors qu’il s’approche, les mains moites. Il arrive rapidement à sa hauteur et la jeune femme pose son regard sur lui. « Salut. » Qu’il lui répond tout simplement, peu certain de ce qu’il doit réellement dire ou faire. Et May, elle finit par se lever. Il voit bien qu’elle non plus, elle ne sait pas. Car ils n’ont toujours rien défini. Sont-ils ensemble, ou pas, au final? Il ne sait pas trop, Luke. Mais il a envie de l’embrasser. Parce qu’elle est belle. Parce qu’elle fait battre son coeur. Alors il pose délicatement une main sur son bras tout en approchant son visage du sien, venant déposer ainsi un petit baiser sur ses lèvres. « Merci de -- d’avoir accepté de me revoir après -- la dernière fois. » Il s’excuse une nouvelle fois alors qu’il prend place face à elle, le coeur battant la chamade dans sa poitrine. « Tu es déjà venue ici ? » Il n’a pas envie de parler de tout ça maintenant, le pompier. Il a envie de profiter de ce moment avec elle. De faire comme si, l’espace de quelques instants, il ne s’était rien passé de grave la dernière fois qu’ils se sont vus. Mais il regrette bien trop, Luke, d’être parti si vite. Elle l’a suivi May. Elle lui a demandé de rester. Elle lui a dit que ce n’était pas grave. Pourtant il a fait la sourde oreille et ne se voyait pas rester pour parler de tout ça. Pas maintenant. Il a dû la décevoir, l’Australienne et peut-être que ce moment à la brasserie n’est qu’un prétexte pour se faire pardonner. « Comment vas-tu ? » Qu’il finit par demander, se souciant réellement de si elle va bien, ou non.

Elle n’aime pas cela.
N’aime pas être dans cet état-là.

Cela ne lui ressemble pas. Ou ne lui ressemble plus.
Parce que, dans le fond, May, c’est une romantique. Elle est de celles et ceux qui croient aux contes de fées – qui rêvent d’une belle histoire, idéalisent les choses, et finissent toujours par être blessés. C’était le cas, avec Ezra. Au début, elle y croyait dur comme fer. Au début, elle croyait que cela marcherait. Qu’il était l’homme de sa vie. Elle a attendu, en vain, une demande en mariage qui n’est jamais venue. Mais dans le fond, c’est comme cela, qu’elle a compris qu’il n’était pas le bon. Elle, elle n’était pas satisfaite, pas épanouie, pas tout fait heureuse. Lui, semblait s’être habituée à sa présence, complu dans la routine qui s’était installée dans leur couple. May, non. Au risque de passer peut-être pour exigeante, elle avait besoin de plus que ce qu’il lui offrait. Ce n’était pas assez, elle n’avait plus le cœur qui battait la chamade, ni les papillons dans le ventre – c’est comme si la flamme s’était éteinte, et un beau jour, elle en avait tout simplement eu marre.
Elle était partie. Elle avait quitté l’Australie. Était venue s’enterrer en Angleterre.
Il n’y avait pas qu’Ezra, qui avait motivé son choix.
Mais ici, elle a pu refaire sa vie, Maybelle.

Repartir de zéro.

Cela fait plus d’un an et demi, qu’elle vit à Weymouth. Presque deux ans, même. Les choses ont bien changé. Elle a son propre b&b, maintenant – et c’est un projet qui lui tenait à cœur, un projet qu’elle chérit, un projet qui la rend fière, un projet qui réussit. Et puis, il y a Luke. Luke, lui, lui donne des papillons dans le ventre, dessine des sourires idiots sur ses lèvres et hante ses rêves. Luke lui redonne envie d’y croire, lui redonne une lueur d’espoir, et illumine son quotidien. Mais Luke, aussi, lui donne mal au cœur, envoie valser toutes ses convictions et change ses humeurs tout le temps. Ce n'est pas sa faute, pour autant – ce flot d’émotions négatives n’est pas provoqué pour la blesser, pas provoqué sciemment. Elle le sait, May : c’est le propre de l’amour, de souffrir pour un oui ou pour un non. Dans le fond, c’est surtout qu’elle n’avait plus l’habitude. Qu’elle s’est attachée sans vraiment s’en rendre compte. D’ailleurs, d’amour, elle n’a jamais parlé – à elle-même, elle ne se l’est pas vraiment admis. Elle ne s’est pas posé de questions. Elle sait juste que depuis l’autre fois, elle ne sait plus sur quel pied danser et déteste ce désarroi auquel elle est en proie.
Mais il ne pensait pas à mal.
Bien sûr. Elle le sait, May. La preuve : il lui a envoyé un message. A demandé s’ils pouvaient manger un morceau ensemble, se voir. Les voilà, maintenant. Quand il arrive, elle se sent secouée, à nouveau, par un million d’émotions. Elle ne sait pas trop comment se comporter, quand il se retrouve face à elle. Elle se sent juste bête, la blonde. Elle est déjà en train de se poser un milliard de questions. Mais finalement, Luke s’approche et l’embrasse doucement. Un baiser simple, doux, mais qui, une fois de plus, affole son cœur – et, déjà, évince certaines de ses inquiétudes, l’apaise. Tout n’est pas réglé, évidemment. Mais c’est un bon début. « C’est… normal. » Ils en ont déjà parlé. Elle comprend. Ou elle essaie. Parce qu’elle n’a pas vécu ce qu’il a vécu, Luke. Elle n’est pas veuve, elle. Alors elle patiente, elle fait preuve de compréhension, d’empathie. A son tour, elle se rassied, face à lui. « Non, jamais. Toi ? » Elle n’a pas encore eu l’occasion de découvrir tous les coins de Weymouth, encore, Maybelle. Elle a beau s’être plainte plus d’une fois de la taille de la ville, elle est en réalité plus grande qu’elle n’en a l’air, et les restaurants, pubs et brasseries ne manquent pas, dans le coin. « Ça va. Tout se passe bien au b&b, la routine. Et toi ? » Pas envie de s’épancher sur la tristesse, l’inquiétude, l’incertitude, qui l’ont envahie depuis la dernière fois. Il n’a pas besoin de savoir, Luke. Et ce n’est pas vraiment sa faute, en plus. Elle n’est juste plus habituée à l’effet de yoyo sentimental que procure ce genre d’histoires. « Je suis contente de te voir. » Elle l’a voulu, tous les jours, chaque instant, depuis l’autre fois. L’autre fois, justement, lui a laissé un poids sur le cœur dont elle a terriblement besoin de se débarrasser.

Il se sent honteux Luke, après ce qu’il s’est passé la dernière fois avec May. Ils ont longuement parlé, ils se sont mis d’accord sur le fait que tous les deux voulaient avancer ensemble et créer quelque chose. Et puis tout a dérapé. L’envie est arrivée. Parce qu’elle est attirante May. Elle est drôle, souriante, et incroyablement belle avec sa chevelure dorée et ce sourire à tomber. Il s’est laissé aller Luke. N’a pas réfléchis. Mais tout a dérapé quand il a voulu aller plus loin. Il n’a pas su. Il s’est bloqué net. Parce que sans savoir pourquoi, c’est le visage de sa femme qui lui est apparu et Luke, il a senti son cœur s’emballer, certain de faire une connerie. Pourtant, Abby, elle n’est plus là depuis déjà quelques années. Il se doit d’avancer. Il pensait en être capable. Mais ce jour-là, plus rien n’a été et il s’est retrouvé pris au dépourvu. Il a tout simplement pris la fuite, alors que May, elle a essayé d’être là pour lui. Elle a tenté de le rattraper, de comprendre. Mais Luke, il s’est tout simplement enfui, la laissant derrière lui.
Et depuis, il s’en veut. Terriblement. Il n’a pas envie de tout gâcher avec elle. Il veut réellement se laisser une chance. Il ne peut pas continuer à agir de la sorte, à penser à sa femme et à ce qu’elle dirait si elle le voyait avec une autre. Peut-être que dans le fond, elle serait heureuse Abby de voir qu’il va de l’avant. Il essaye de se persuader que c’est la meilleure chose à faire, mais il se dit surtout qu’il n’en est pas capable. Alors il veut se donner les moyens. Et May, il l’a recontactée. Il lui a envoyé un message, lui proposant d’aller manger un bout. Il a été soulagé, d’avoir une réponse positive.

C’est pourtant le cœur lourd qu’il s’y rend, appréhendant un peu ce repas. Peut-être que May, elle a simplement accepté de le voir pour lui dire qu’après ce qu’il s’est passé, elle n’a plus vraiment envie d’essayer, parce qu’elle sent bien qu’il n’est pas prêt. Ça fait tellement d’années qu’il n’a plus fait ça, plus ressenti toutes ces émotions. Il a été avec Abby pendant tellement longtemps Luke, qu’il ne se sent plus à la page. Et bizarrement, lorsqu’il pose son regard sur May, ses craintes disparaissent. Il lui sourit, s’approche d’elle et dépose tout naturellement ses lèvres sur les siennes. Il s’installe, s’excuse directement pour la dernière fois. C’est normal. Il a un peu de mal à y croire, mais il n’a pas envie d’en reparler. Il veut avancer. Avec elle. « Quelques fois oui. Avec ma sœur principalement, elle aime bien venir ici. » Qu’il lui répond dans un sourire, attrapant la carte en main, même s’il sait déjà ce qu’il va prendre le pompier. « Je suis content pour toi, si tout se passe bien. » Nouveau petit sourire qui lui est destiné. « Ça va bien oui. Un peu came à la caserne. Mais Luisa me donne du fil à retordre, car elle est malade depuis quelques jours. » Il pousse un léger soupir. Il n’aime pas voir sa fille malade. Il aimerait être là pour elle Luke, mais il ne peut pas se permettre de prendre congé à chaque fois. Il est bien heureux, d’avoir ses parents à ses côtés et de pouvoir compter sur eux dans ces moments-là. Il dépose la carte de pose un regard attendrissant sur son doux visage. « Moi aussi. » Il laisse délicatement glisser sa main sur la table pour attraper la sienne, plongeant son regard dans le sien, sentant son cœur tambouriner dans sa poitrine. « Tu sais déjà ce que tu veux boire ? » Demande-t-il en appelant un serveur pour qu’il prenne leur commande. « J’ai pensé à ça il y a quelques jours, mais … Ça te dirait que l’on parte en week-end quelque part ? Rien que tous les deux. » Il espère qu’elle va accepter, May. Parce que ça pourrait leur faire du bien, d’être en dehors de Weymouth. Ils pourraient enfin réellement apprendre à se connaître, en dehors de tout ce qui les retient toujours ici. « J’pourrais demander à ma sœur de s’occuper du B&B le temps de deux/trois jours, si tu le souhaites. » Il lâche délicatement sa main à la venue du serveur et lui annonce la commande de May, ainsi que la sienne, avant de le remercier poliment et de reporter toute son attention sur l’Australienne.

C’est tout nouveau, comme repartir de zéro. Elle a l’impression de ne plus avoir l’habitude, de ne plus savoir comment faire ce genre de choses. Elle ne sait même pas, May, s’ils sont ensemble – parce que c’est encore un peu étrange, pas tout à fait clair, ni officialisé. Il faut dire que l’autre fois, Luke, il est un peu parti sans crier gare, complètement paniqué. Sans qu’ils n’aient vraiment pu parler. Ils ne l’ont pas complètement fait, depuis – il y a bien eu cet échange de sms, ayant donné lieu à leur actuel rendez-vous, mais c’est tout. Entre temps, May, elle est restée dans le flou, elle s’est imaginé mille et un scénarios. Elle a déprimé, avant de se dire que c’était bête, puis de se sentir joyeuse, avant de déprimer encore – le propre de l’amour, en somme, un véritable ascenseur émotionnel en permanence. Mais elle n’avait plus l’habitude de tout cela, la blonde ; parce que sa dernière histoire remonte. Pourtant, elle avait duré longtemps ; Ezra, elle se voyait l’épouser, ou, en tout cas, attendait désespérément que l’idée lui vienne de le lui demander. Mais elle avait sans doute tort, et avec le recul, elle se dit heureusement qu’il ne l’a pas demandée en mariage. Parce qu’Ezra, il n’était pas fait pour elle.

Cela ne veut pas dire qu’elle pense à tout cela, avec Luke. Elle n’est pas non plus du genre à mettre la charrue avant les bœufs, Maybelle. Au contraire, même. Au contraire, avec Luke, elle ne sait pas toujours sur quel pied danser. Avant qu’il ne la recontacte, propose qu’ils ne se voient, elle imaginait le pire, supposait qu’il ne voulait plus la voir – et, si c’était douloureux, ç’avait aussi un côté rassurant. Parce que, dans le fond, elle n’est pas certaine que cela puisse fonctionner, May. Elle n’est pas certaine qu’ils aient tout ce qu’il faut en commun, tous les deux. Pas certaine qu’ils aient les mêmes projets, la même vision de l’avenir. Par exemple, elle ne veut pas d’enfants – et le fait qu’il en ait un, d’enfant, cela ne la rassure pas. Loin de là.
Mais elle ne l’a pas dit.
Elle ne le dit pas, là, non plus.
Trop heureuse d’enfin le revoir.
Il est là, maintenant, Luke, et elle ne sait pas trop quoi dire, pas trop comment se comporter. Tout porte à croire que c’est à lui, désormais, de faire le premier pas. Et il le fait. L’embrasse, délicatement, avant d’engager doucement la discussion. D’essayer d’aller de l’avant, de se rattraper peut-être, même si l’autre fois, ce n’était pas sa faute. Pourtant, il semble ne pas vouloir s’attarder sur le sujet de l’autre fois, parle plutôt de l’endroit où ils se trouvent maintenant, que May ne connaît pas bien pour l’instant. « Okay. C’est que ce doit être sympa, alors. » Elle fait bien confiance à Norah, la blonde. Et puis, du peu qu’elle en a vu, elle n’est pas déçue. Elle se demande alors, May, si Luke a parlé d’elles aux autres, à d’autres. Pas forcément à Norah, pas seulement à Norah – mais à ses proches, en général. Ou s’il a gardé tout pour lui, tout ce qu’il s’est passé depuis. « Merci. » Elle en est fière, du b&b. Finalement, elle a enfin l’impression de se sentir à sa place, d’avoir trouvé ce qui la fait vibrer dans la vie. Elle sourit, May ; mais peut-être que d’entendre parler de Luisa, cela réveille ses inquiétudes, ses insécurités – celles dont Luke n’a jamais eu vent, parce qu’après tout, ils apprennent encore à se connaître, tout doucement. « Rien de grave, j’espère. Qu’est-ce qu’elle a ? » Elle n’y connaît pas grand-chose, elle imagine que c’est un virus comme les enfants en ont souvent. N’est pas sûre de vouloir s’étendre bien longtemps sur le sujet – mais elle ne s’en fiche pas pour autant. Cela n’avait pas été désagréable, au fond, quand elle avait porté, calmé, Luisa, cette fois dans le parc.
Elle sent toujours son estomac se nouer, d’inquiétude, d’appréhension, aussi. Mais ce sont peut-être juste les papillons qui prennent trop de place, à l’intérieur. Cela lui fera sans doute du bien, de boire quelque chose. « Hm, non, je sais pas trop. Tu n’as qu’à choisir, toi. Tu me conseilles quoi ? » Car, après tout, il connaît l’endroit. Il a peut-être quelque chose à lui conseiller. Et puis, la suite, elle ne s’y attendait pas, May. Il lui propose, comme cela, un week-end. Une idée plaisante, quoiqu’inattendue – mais probablement que cela leur ferait du bien. Du temps juste pour eux. Pour commencer officiellement cette relation. Il propose même de demander à sa sœur de la remplacer au b&b. A ce moment-là, le serveur revient, pour prendre leur commande, avant de vite repartir. « Oui, c’est une bonne idée. » Elle lui adresse un sourire, May. Se laisse un instant aller à rêver, à imaginer où ils pourraient aller. « Je ne sais pas si j’aurai besoin d’être remplacée, ou alors il n’y aura pas grand-chose à faire… Le b&b est plutôt calme en cette saison, il n’y a pas beaucoup de monde. Alors si ça ne la dérange pas de juste passer une fois par jour… ça pourrait être chouette. » L’idée la tente, en tout cas. Un moment juste avec lui, loin de Weymouth, elle en rêverait.

Peut-être qu’il serait temps pour lui qu’il se laisse une chance d’avancer, Luke. Peut-être qu’il doit faire un effort, écouter ce que les autres disent et enfin aller de l’avant. Ce n’est pas encore facile tous les jours. Il a encore du mal, à ne pas penser à elle, à ne pas être triste lorsqu’il tombe sur des photos d’eux. Ils étaient heureux. Ils avaient tout. Il doit se faire à l’idée maintenant, qu’elle n’est plus là et qu’elle ne reviendra pas. Il doit avancer Luke, il ne peut plus continuer à s'appuyer sur son sort, mais surtout, à repousser l’amour qui vient doucement toquer à sa porte. Car il y tient, à May. Il tient à elle. Plus qu’il ne peut le laisser paraître. Plus qu’il n’a pu le laisser paraître avant. Car ça n’a jamais été vraiment facile entre eux. Ils se détestaient même, au début. Ne pouvant se supporter. Enchaînant les disputes pour des conneries. Mais peut-être que tout ça, dans le fond, ça cachait quelque chose. Une attirance certaine, une envie de découvrir l’autre. C’est pour ça qu’il est là, face à elle, aujourd’hui. Pour passer du temps avec elle, mais surtout, pour se racheter. Parce qu’il a merdé la dernière fois. Il est parti sans rien dire, sans s’expliquer, la peur au ventre, alors que la tentation de franchir une nouvelle étape entre eux était belle et bien présente. Pourtant, il ne mentionne pas cet incident, ne voulant pas remuer le couteau dans la plaie, voulant passer à autre chose, passer du temps avec elle. « Comme tu peux le constater, ça l’est oui. » Il sourit Luke, ne lui mentionne pas qu’il aimait aussi venir avec Abby, avant. Elle n’a pas besoin de le savoir May. Peut-être qu’elle s’en doute, mais ils ne sont pas là pour parler de son passé et de son ex-femme. Il regarde autour de lui, sourit légèrement. Il a toujours bien aimé l’ambiance de ce lieu chaleureux Luke. Il a toujours trouvé les emplois très sympas, la nourriture délicieuse et le cadre vraiment mignon. Il fait attention à ce genre de choses, le pompier.

Il sent son coeur doucement se calmer. Parce qu’il était stressé en arrivant ici. Il était certes heureux de voir que May ait accepté son invitation. Elle aurait très bien pu l’envoyer chier, lui dire qu’elle ne voulait plus le voir et qu’il valait mieux en rester là. Pourtant elle ne l’a pas fait. Elle a accepté ce rendez-vous, ils sont maintenant l’un en face de l’autre et son cœur s’est calmé, bien qu’il bat plus vite qu’à la normale en sa compagnie. Elle ne s’en rend peut-être pas compte May, qu’elle lui fait tout cet effet. Il se voit mal le lui dire maintenant, de toute façon. Il se contente simplement d’engager la conversation, de faire comme si tout allait bien, en parlant de sa fille malade. « Rien de grave non. Elle a dû se choper un truc à la crèche, vu tous les gamins malades qu’il y a là-bas. Elle tousse beaucoup et ne mange presque pas, mais selon le pédiatre, ça ira bien vite mieux. » Il lui adresse un léger sourire, se veut rassurant par rapport à Luisa, sans savoir, que May, en fin de compte, ne veut pas de tout ça. Être mère. Avoir un enfant. S’occuper de sa fille s’il venait à le lui demander. Il tomberait sans nul doute de haut, s’il le savait, Luke. Alors c’est naïvement qu’il lui répond, tout naturellement aussi, d’ailleurs. « Le cocktail maison. Une tuerie. Et pour manger, j’te conseille le repas du jour. Ça change de ce qu’il y a à la carte. » Il a envie qu’elle aie bon ici, May. Il a envie que cette journée reste gravée dans sa mémoire à la blonde, même s’ils ne font que manger un bout ensemble.

Et puis il ose. Enfin. Il ose l’inviter à passer un de ces jours, un week-end ensemble. Il y pense depuis quelques jours. Comme s’il voulait se racheter de la dernière fois. Mais parce qu’il pense aussi, que ça pourrait leur faire du bien, de se retrouver rien qu’à deux. Sans B&B, sans Luisa, sans tout ce qui les entoure habituellement. Il s’est tellement plongé dans le travail ces derniers mois Luke, qu’il a pas mal de jours de repos à prendre. Et May, il veut apprendre à la connaître plus. Alors il s’est dit que ce serait une bonne idée, de partir avec elle en dehors de Weymouth. Ils ne sont pas obligés d’aller bien loin, de toute façon. Du moment qu’ils sont à deux. Il sourit d’ailleurs de plus belle, lorsqu’elle lui dit que ça peut être une bonne idée. « Ca n’la dérangera pas, j’en suis certain. Et puis elle n’aura pas le choix. » Il rigole Luke, apprécie ce moment avec elle. Avec celle qui a réussi à faire battre à nouveau son coeur depuis la mort d’Abby. « Soit on regarde à deux, ou alors tu m’laisses te faire la surprise de la destination. » Nouveau petit sourire qui lui est adressé et il se décale légèrement lorsque la serveuse revient avec les boissons. « Santé. » Il lève son verre, trinque avec elle et le porte ensuite à ses lèvres. « Alors, tu en penses quoi ? » Demande-t-il, curieux de savoir ce qu’elle pense de ce cocktail réalisé par le barman. « J’suis vraiment content que – que tu aies accepté ce rendez-vous. » Il dépose son verre et pose son regard sur elle. Peut-être qu’il devrait s’excuser, en fin de compte, Luke. Après tout, elle mérite bien quelques excuses, l’Australienne. « J’avais peur que tu ne veuilles plus me voir, depuis – la dernière fois. J’suis désolé, d’ailleurs. » Il prend une profonde respiration. « J’ai – le visage d’Abby m’est apparu et j’ai soudainement perdu pied. J’me suis mis à penser que ce n’était pas bien ce – ce que je faisais. Mais en fin de compte, c’est un peu débile de penser ça. » Il laisse échapper un petit rire, bien que la situation ne soit pas des plus drôles. « Elle n’est plus là et c’est avec toi que je suis maintenant. » Son regard posé sur elle est doux et délicat. Sa voix l’est tout autant. « Bref, tout ça pour te dire que j’suis désolé et que ça ne se reproduira plus. » Il l’espère de tout cœur, Luke. Parce qu’il ne veut pas briser tout ce qu’il commence à construire avec May, le Cusack. Déjà bien trop attaché à elle.

Elle n’a jamais fréquenté d’homme veuf, May. C’est quelque chose d’inconnu, quelque chose qu’elle découvre aujourd’hui. Elle découvre surtout le fait d’apprendre à trouver sa place, alors qu’un fantôme semble flotter dans les airs, partout autour d’eux. C’est quelque chose de nouveau, de complètement inédit. Et ce n’est pas facile. Cela a déjà été compliqué de comprendre, de s’avouer, ce qu’elle ressentait pour Luke. Mais elle n’avait pas pensé aux autres complications, May. Elle n’avait pas pensé une seule seconde aux difficultés que cette nouvelle histoire pouvait représenter pour le brun. Et pour elle, par ricochet. Et puis, elle n’avait même plus l’habitude de cela, Maybelle : plus l’habitude des nouvelles histoires. Des débuts. Des rendez-vous. Des discussions. Plus l’habitude de faire connaissance, de se lier tout doucement. De nouer quelque chose, ensemble. Plus l’habitude non plus, de l’exaltation de son cœur, de ses mouvements brusques et des pensées obsédantes de celui que l’on aime. C’est fatigant, et elle l’avait oublié, May.

Et puis, voilà. Il y a les autres complications.
Il y a la femme disparue de Luke. Il y a les souvenirs, il y a la douleur, il y a le deuil, qui n’est pas encore achevé. Il y a beaucoup de choses. L’autre fois, les choses ont quelque peu dérapé – et elle s’en est voulue, après. Peut-être qu’ils auraient dû prendre les choses plus doucement. Mais tout de même, cela l’a poussée à se remettre en question. A enchaîner les interrogations. Mais les voilà là, maintenant. Désireux d’aller de l’avant.
Elle a accepté de retrouver Luke, dans cette petite brasserie. Elle ne sait pas trop de quoi il va lui parler. Mais la curiosité, le besoin de le voir surtout, l’emportent. Luke lui parle de Luisa, et malgré elle, May se raidit – mais elle l’interroge tout de même, au sujet de sa fille. « Ouais, ce doit être un nid à microbes là-bas. » Qu’en sait-elle ? Dans le fond, May n’est pas nulle avec les enfants. May, même, les apprécie. Mais, parce que sa mère s’est fait la malle quand elle était petite, elle doute d’elle. N’est pas certaine d’avoir un quelconque instinct maternel. Alors elle saute sur la possibilité d’un nouveau sujet. Se reconcentre sur le repas, qu’ils sont après tout venus manger. « Je vais suivre tes conseils et choisir tout ça, alors. » Elle lui adresse un sourire, May. Quoique nerveuse. Elle appréhende, encore un peu. Mais elle essaie de se détendre, peu à peu.
Luke y arrive, en tout cas. Peu à peu, il la met à l’aise, la rassure. S’en rend-il compte ? Ils ne parlent pas de l’autre fois. Font presque comme si elle n’existait pas. Et Luke lui propose de partir un week-end ensemble. Cela fait rêver ; peut-être aussi que cela leur ferait du bien. Peut-être que, juste tous les deux, tout serait plus simple. Et si, au contraire, cela compliquait tout ? Elle préfère chasser cette possibilité de ses pensées, May. « Il faudrait quand même que je commence à rechercher quelqu’un pour m'aider. » Elle ne pourra pas gérer le b&b seul éternellement. Elle aussi, elle a envie de faire des pauses, parfois besoin de vacances. Elle aussi, elle a besoin que sa vie tourne autour d’autre chose. « Est-ce que ça veut dire que tu as déjà une idée ? » Elle laisse échapper un rire, la blonde. A ce moment-là, on leur apporte leurs boissons, et bientôt, les voilà qui trinquent ensemble. « A la tienne. » répond-elle, avant de boire quelques gorgées délicieuses, légèrement sucrées. « Il est à tomber. » Elle ne mâche pas ses mots. Et elle est une grande amatrice de cocktails, Maybelle. C’est un peu sa boisson de prédilection, quand elle sort. C’était en tout cas le cas, à Melbourne.
Et puis, Luke revient sur l’autre fois. C’était prévisible, non ? Peut-être inévitable. Et puis, peut-être n’est-ce pas plus mal. Peut-être vaut-il mieux crever l’abcès, plutôt que laisser les non-dits flotter dans l’air, flotter entre eux. Il parle d’Abby, Luke. Il s’explique. May comprend mieux. Se rassure, un peu. « Ce n’est pas débile. » reprend-elle, quand il a fini de parler. « Je ne peux pas imaginer ce que tu as vécu. C’est normal que tu aies besoin de temps. » Et ce n’est pas parce qu’elle lui plaît, que tout est plus simple. Que tout va marcher, en un claquement de doigts. « Sache que… tu peux toujours m’en parler, si tu en as besoin. » C’est peut-être mieux, plutôt qu’il ne parte en courant, même si ce n’est pas toujours évident. Mais elle a plongé son regard dans le sien en disant ces mots-là, May, comme pour lui montrer sa sincérité. « Elle fera toujours partie de toi, et je le sais. » Et, même s’il est difficile parfois de trouver sa place, elle l’accepte, elle ne baissera pas les bras. Elle veut tenter quelque chose avec lui, May.

Il a l’impression de tout reprendre au début, Luke. De devoir tout recommencer, mais avec une autre personne à ses côtés, maintenant. Bien des années qu’il n’a plus fait ça. Qu’il n’a plus appris à connaître quelqu’un de la sorte, à se montrer sous son meilleur jour, à presque faire la cour à une jeune femme. Des années qu’il n’a plus été à un rendez-vous. Il ne sait plus trop comment s’y prendre. Peut-être qu’ils auraient dû faire ça, avant. Avant ce baiser. Avant cet instant charnel chez May. Ça fait tellement longtemps qu’il n’a plus fréquenté quelqu’un d’autre que sa femme, Luke, qu’il se sent quelque peu perdu. Mais pourtant, lorsque son regard se pose sur l’Australienne face à lui, il se sent soudainement soulagé. Il sent son coeur plus léger. Parce que malgré la dernière fois, elle est là, face à lui. Et ça, ça lui fait chaud au coeur. Il se dit qu’il a peut-être enfin une véritable chance, de recommencer. D’aller de l’avant. De continuer à vivre sa vie, sans Abby. « Je ne te le fais pas dire. » Il rigole légèrement, parce qu’elle a raison, May. Il sait pourtant, qu’elle n’a pas d’enfant. Ne connaît pas son avis sur le fait d’en avoir un un jour. Elle a déjà rencontré Luisa, May. Une rencontre faite sur le hasard et qui, selon lui, c’est pourtant bien déroulé. Mais ça, ce n’est que son point de vue. Elle sait, qu’il est papa. Elle sait que si elle veut s’engager dans cette relation, Luisa en fera partie. Mais Luke, il n’a pas envie d’aborder ce point. Pas maintenant. Après tout, si ça venait à lui poser problème, elle le lui dirait, non ?

« Tu ne seras pas déçue. » Lorsqu’il venait ici, il aimait prendre le plat du jour pour se laisser surprendre. Il n’a jamais été doué pour savoir quoi prendre au restaurant. Souvent, c’était même Abby, qui se chargeait de commander à sa place. C’est pour cette raison qu’il conseille simplement May en lui disant de prendre le cocktail maison et le plat du jour, n’étant pas d’une grande aide pour lui conseiller autre chose. « Si ça peut te permettre d’avoir plus de temps – pour moi, alors j’peux t’aider à trouver quelqu’un. » Il rigole en lui répondant Luke, jouant sur l’humour, le regard tendre envers elle. « Si tu as besoin d’aide pour ta recherche, j’suis là. J’connais assez bien les gens d’ici. » Il reprend son sérieux et lui adresse un léger sourire. Et puis il arrive enfin à lui parler de cette idée qui lui trotte en tête. Une escapade, rien que tous les deux. « Peut-être bien. » Il n’en dit pas plus, parce que des idées, il en a. Il attend juste d’avoir son accord, pour se mettre à réellement chercher quelque chose. « J’ai pas mal de jours à prendre à la caserne, alors dès que t’es dispo, on s’en va d’ici. » Il pense que ça peut les aider à se rapprocher, Luke. À se connaître, se découvrir.
Leurs boissons arrivent rapidement et ils trinquent avant qu’il ne boit une gorgée rafraîchissante. « Je te l’avais dit ! J’suis contente que tu aimes. » Il n’est pas très cocktails en général Luke, préférant se contenter d’une bière ou de vin lors des repas. Mais Abby, elle a réussi une fois à lui faire boire cette boisson et il doit bien avouer qu’il a bien aimé, le pompier. Et alors qu’ils boivent tous les deux leurs boissons, il ne peut s’empêcher d’y penser, mais surtout, d’en parler. Il pose son verre et s’explique sur son comportement de la dernière fois. Car il lui doit bien ça, à May. Il lui doit tout de même quelques explications, pour avoir pris la fuite. Et elle est compréhensive la blonde. Ça le fait sourire, ça lui fait chaud au coeur. Lui qui était persuadé qu’elle n’accepterait jamais de le revoir, après tout ça. « Merci. » Il la gratifie d’un petit sourire avant de reprendre la parole. « Oui, elle fera toujours partie de moi. Mais y a aussi de la place, pour toi. » Il attrape à nouveau sa main libre Luke, le regard sincère plongé dans ses yeux. « J’veux que toi et moi – on ait une chance. »
Il en a réellement envie. Parce qu’il a besoin d’avancer. « Enfin, si tu en as envie, bien entendu. » Il lâche délicatement sa main et rigole à nouveau, ne voulant pas être trop dramatique dans ses paroles. « Tu veux qu’on prenne un starter avant notre plat ? J’meurs de faim, en fait. » Il avait la tête un peu ailleurs, Luke. L’esprit occupé par Abby et May. Maintenant que les choses sont mises à plat, il a envie de profiter de ce moment avec May. Pensant à son futur, il l’esprit, avec elle.

Ils ne parlent pas ou peu, de l’autre fois. Pourtant, les souvenirs de cette soirée-là pèsent encore au-dessus d’eux. Et puis, il y a toujours un peu cette tension dans l’air. C’est un truc qui traîne, entre eux, maintenant depuis plusieurs semaines. Depuis que May a embrassé Luke. Est-ce que c’était un rendez-vous ? Ou, tout du moins, est-ce que Luke l’avait invitée avec une intention romantique ? Ou est-ce que c’était vraiment pour fêter la fin des travaux du b&b ? Elle s’est posé toutes ces questions, la blonde, tant de fois. Elle s’est torturée du matin jusqu’au soir. Elle a cherché des réponses qu’elle n’a jamais trouvé. Elle s’est peut-être fait un peu de mal. Elle en a même pleuré. Elle a traversé tout un tas d’émotions. Elle n’avait plus l’habitude, sa dernière histoire remonte. Et sa dernière histoire, en même temps, avait duré longtemps – alors cela fait des années qu’elle n’a rien fait de tel, Maybelle. Les rendez-vous. Elle ne sait même plus comment on fait – comme s’il existait un mode d’emploi. Mais chaque histoire est unique, elle le sait bien. Luke n’a rien à voir avec Ezra, comme Ezra n’avait rien à voir avec les autres, avant. Mais son histoire avec Ezra, quoiqu’elle ait duré longtemps, ne la rendait pas si heureuse. Ezra ne la rendait plus heureuse. Au début, si, pourtant. Puis le temps a passé, la routine s’est installée. Ezra s’est contentée de cette routine-là ; pas elle.
Elle était peut-être exigeante.
Mais à ses yeux, cela voulait juste dire qu’ils n’étaient plus faits pour être ensemble.

Leur relation, comme tant d’autres, a pris fin. C’est May qui en a été à l’initiative.
Malgré tout, elle a gardé espoir. De retomber amoureuse, de ressentir à nouveau le fameux frisson. C’est un peu ce qu’elle vit, maintenant, avec Luke. Mais elle n’a pas eu que les bons côtés, jusqu’à présent. Elle a connu l’inquiétude, les doutes, l’incertitude, notamment. Parce qu’il a pris la fuite. Parce qu’ils ont pris leurs distances. Jusqu’à maintenant. C’est Luke, qui est revenu vers elle. Luke, qui lui a proposé ce déjeuner. Qui lui conseille maintenant le cocktail maison, et puis le plat du jour. Elle sent déjà qu’elle va se laisser tenter, May. « J’en doute pas une seule seconde. » lui répond-elle en souriant. Elle ne regrette pas d’être venue. Elle ne regrette pas d’être là. Encore moins quand Luke lui propose de partir en week-end – juste tous les deux. Tous les deux. C’est bizarre de se le dire. Ils pourraient donc être quelque chose. Cela pourrait aller plus loin. Luke semble prêt, cette fois. Mais elle doit l’avouer, May, elle a encore quelques craintes. « Je vois, t’es prêt à tout pour que je vienne avec toi. » fait-elle, sourire en coin. Cela l’amuse, lui fait du bien. Elle se laisse aller à rêver, à imaginer ce week-end, loin de tout. Loin de Weymouth, loin de ceux qu’ils connaissent, loin des souvenirs. Du temps pour eux, c’est probablement tout ce dont ils ont besoin pour avancer. « Avec plaisir. Je pensais peut-être embaucher un étudiant, ou un jeune dans le besoin. Quelqu’un qui ait vraiment besoin d’un job ou qui cherche à se reconstruire. » Elle a peut-être l’air snob, un peu hautaine par moments, mais elle a conscience de la réalité, des difficultés de la vie, May. La sienne, en tout cas, n’a pas toujours été facile. Mais, très vite, elle se reconcentre sur ce fameux week-end. Sourit de plus belle, quand Luke sous-entend avoir une idée d’où l’emmener. « Tu en dis trop. » Et en même temps, pas assez. Mais si c’est une surprise, alors c’en vaudra la peine, elle en est sûre. « Moi aussi. Les beaux jours approchent, en plus, ça peut être l’occasion. » Elle hausse les épaules, la blonde, sans se défaire de son sourire. C’est beau, agréable, de se projeter. Elle voudrait déjà y être.
Mais pour le moment, elle est là, avec lui, dans cette brasserie. Et bientôt, on leur apporte le fameux cocktail – qu’elle ne peut que complimenter, la blonde. Et puis, en fin de compte, Luke revient sur la dernière fois. Lui parle d’Abby. De ses difficultés à se lancer dans quelque chose avec quelqu’un d’autre. Il a envie d’essayer, pourtant. Il lui dit qu’il y a de la place, pour elle, aussi. Il attrape même sa main, plonge son regard dans le sien. De quoi la troubler – de quoi l’émouvoir. De quoi la toucher. De quoi faire vibrer son cœur un peu plus. « J’en ai envie aussi. » Malgré tout. Malgré le silence et les semaines d’incertitude. Malgré la torture que ç’a été, d’attendre. Il n’a pas voulu la blesser, pas sciemment, et cela, elle le sait pertinemment. Alors May, elle lui fait malgré tout conscience. Même si elle sait qu’à un moment ou l’autre, il y a quelque chose qui coincera. Elle reste dans son déni, pour le moment, en tout cas. « J’ai pas vécu ce que tu as vécu, mais… ma dernière histoire a duré assez longtemps. Alors j’ai plus trop l’habitude de tout ça, non plus. » Sa dernière histoire, elle l’a vaguement mentionnée, une fois. Mais elle n’est pas entrée dans les détails. N’a pas parlé, évidemment, de la demande en mariage qu’elle attendait, qui n’est jamais venue.
Luke finit par lâcher sa main, en tout cas, et revient sur le repas. Propose qu’ils se prennent un starter. « Pourquoi pas. » Elle hausse les épaules, avec un sourire. Le repas sera agréable, elle en est convaincue.

Il se détend légèrement. Laisse ses tracas de côté, parce que la première chose qu’il a faite Luke, c’est s’excuser. S’excuser de son comportement, de comment les choses se sont passées entre eux la dernière fois qu’ils se sont vus. Il s’en veut toujours, d’avoir pris la fuite comme il l’a fait. Mais de ce qu’elle lui dit, elle ne lui en veut pas, May. Elle comprend, bien qu’elle ne puisse pas vraiment le faire. Il n’a plus envie de parler de ça Luke. Il est ici pour passer un bon moment en compagnie de May. Il a envie d’avancer le pompier. Il ne pensait pas que ça serait aussi difficile, en réalité. Il s’était dit qu’en retombant amoureux, les souvenirs d’Abby deviendraient moins douloureux. Que ça l’aiderait. Mais il s’est visiblement trompé. Pourtant, il veut se laisser une chance. Il veut laisser une chance à May. Alors il l’a invitée ici et le voilà, aussi, qui lui propose cette idée de partir rien qu’eux deux, le temps d’un week-end. Ça lui tient à coeur, à Luke. Il aimerait connaître un peu plus May. En apprendre plus sur elle, encore. Sur sa vie en Australie, sur sa famille. Luke, il veut se plonger dans cette nouvelle relation. Il en a envie. Il en meurt d’envie. Car May, elle est celle qui fait battre son coeur. Ce cœur meurtri et brisé. Elle a réussi à recoller quelques morceaux la blonde et ce, contre toute attente. Jamais, il n’aurait parié sur le fait qu’il se mettrait un jour avec elle, lui qui ne pouvait la supporter il y a encore quelques mois. Mais le voilà, face à elle, lui proposant cette idée venue de nulle part, mais à laquelle il tient. « Je suis prêt à tout, oui. » Il la regarde d’un air malicieux. Parce que oui, Luke, il ferait tout pour qu’elle accepte, qu’elle vienne et qu’elle passe un merveilleux moment. Pour May, il serait prêt à tout. « C’est une très bonne idée. Je chercherai un peu de mon côté. » Il aime l’initiative qu’elle lui propose. Car des jeunes dans le besoin, en quête d’une reconstruction, il y en a plusieurs, à Weymouth. Il est certain qu’elle trouvera rapidement quelqu’un et Luke, il est prêt à l’aider dans sa recherche.

Cette sortie avec May, elle se déroule bien. Il se sent plus détendu. Plus serein. Leur commande arrive bien vite et il la regarde déguster son cocktail, léger sourire aux lèvres, ravis de savoir qu’elle l’apprécie. Ce moment, il veut qu’il soit agréable, que rien ne vienne l’entraver. Après tout, il doit s’excuser pour la dernière fois Luke, se faire pardonner d’être parti de la sorte et de ne plus avoir donné de nouvelles pendant plusieurs semaines. C’est ce qu’il fait. Il lui demande pardon. Il s'explique sur ce qu’il s’est passé. La réaction de May est douce, elle lui permet de mettre ses peurs de côté. « Je me sens mieux, maintenant que tu sais tout. » Sa main qui prend la sienne, un petit sourire qui se dessine sur son visage et ses yeux qui se perdent dans les siens. Le geste est délicat, tendre. Ses maux s’apaisent et il continue de l’écouter parler. Elle lui déjà mentionné sa relation passée auparavant. Mais ça a été bref. Il n’a jamais demandé plus, bien qu’il soit piqué d’une certaine curiosité. Mais ils ne sont pas là pour parler du passé. Ils sont là pour parler d’eux, et de l’avenir. « On est deux bras cassés. » Qu’il lui répond en rigolant, avant de lui lâcher la main pour reporter son attention sur le menu, la faim commençant à le prendre de plus en plus. « Si t’aimes pas tout ce qui est panure, leurs nuggets maison sont délicieux ! Ou alors une planche à tapas. Prends ce qui te fait plaisir, j’suis pas difficile. » Il lui adresse un nouveau sourire et lève le bras pour appeler le serveur afin qu’il vienne prendre leur commande. « On commande aussi le repas ? » Il demande, se disant qu’il valait mieux en profiter pour tout commander en même temps.

Elle rêve d’une belle histoire. D’une belle histoire qui la rendrait heureuse. D’une belle histoire dans laquelle elle s’épanouirait. Elle rêve d’une belle histoire, comme dans les films et les bouquins. Comme ceux qu’elle se trimballe, tout le temps, dans son sac à main. Oui, elle est plus romantique qu’elle n’en a l’air, May. Derrière ses airs de citadine un peu hautaine, qui se suffit à elle-même, elle caresse l’espoir de trouver sa moitié, enfin. Cela n’avait pas fonctionné avec Ezra. Pourtant, elle y avait cru, désespérément, May. Elle espérait que cela fonctionne, elle attendait la demande en mariage, après des années de relation. Mais la demande n’était jamais venue. Elle avait désespéré, cela l’avait profondément attristée. Puis elle avait perdu son emploi, avait connu une sorte de crise existentielle et avait ensuite tout remis en question. Elle avait rompu avec Ezra, puis avait quitté l’Australie pour de bon. Tout cela pour atterrir ici.
Pour ouvrir son b&b.
Et rencontrer Luke.

Qui sait, peut-être que cela pourrait marcher.
Elle s’est pourtant laissé aller à penser le contraire. Avait cette impression que Luke n’était pas prêt. Elle pensait même qu’il changerait d’avis. Mais contre toute attente, il l’a recontactée, May. Il lui a proposé de le retrouver aujourd’hui, ici. Maintenant, ils rattrapent le temps perdu. Essaient d’aller de l’avant, ensemble – vers cette relation à laquelle ils aspirent, autant l’un que l’autre. Luke a crevé l’abcès en expliquant sa fuite, l’autre fois. Et il a bien fait – au moins, cela ne restera pas en suspend entre eux. Il n’y aura pas de non-dits. Non, ils vont de l’avant, c’est vrai. Luke propose même qu’ils partent, tous les deux, en week-end. L’idée est tentante, l’idée la fait rêver, la blonde. « Tant mieux, j’aime ça. » Qu’il soit prêt à tout pour qu’elle vienne. A tout, peut-être, pour être avec elle. Cela lui change d’Ezra. Ezra, lui, ne faisait plus grand-chose. Lui, s’était accommodé de leur petit train-train quotidien. « Okay, on en reparlera, alors. » Mais cette idée de week-end, elle ne l’oubliera pas. A dire vrai, elle est certaine, May, qu’elle va y penser encore en boucle.
Mais pour le moment, ils parlent d’autre chose. C’est agréable, de pouvoir parler de tout et de rien. Finalement, maintenant que Luke a expliqué ses difficultés vis-à-vis de son épouse disparue, maintenant qu’il lui a expliqué vouloir tout de même essayer d’aller de l’avant, maintenant qu’ils ont parlé de tout cela, elle se sent un peu plus légère, May. Tout comme Luke, visiblement, au vu de ce qu’il lui dit. « Et je me sens mieux, maintenant que tu m’en as parlé. » Ils en avaient besoin, sans aucun doute. C’était peut-être nécessaire pour pouvoir avancer. Pour ce eux qui, visiblement, peut se profiler à l’horizon. « Deux bras cassés, ouais. J’ai l’impression d’avoir oublié comment ça marche, tout ça. » Les rendez-vous. Les moments où l’on apprend à connaître l’autre. Les premiers temps, les premiers gestes tendres, les premiers mots doux. Sans doute que ce fameux week-end, dont ils parlent, ne pourra pas leur faire de mal. Pour le moment, en tout cas, ils en reviennent à l’instant présent – à ce repas. « Je ne dis jamais non à des tapas, ils me rendent beaucoup trop faible. » plaisante-t-elle en riant. Mais c’est vrai – et puisque Luke lui laisse le choix, cela lui semble très bien. « Ouais, ça me va. » Et ensuite, ils pourront déjeuner tranquillement. Profiter. Discuter. Apprendre un peu plus à se connaître, justement.

Le cœur qui bat tout autant la chamade qu’au début, mais un cœur qui se sent tout de même plus apaisé. Parce qu’il a su lui parler, mettre des mots sur ce qu’il s’est passé la dernière fois. Il ressent un poids en moins sur ses épaules, Luke. Il sent qu’il est soudainement plus à l’aise, plus calme. Il avait pourtant un peu peur, le pompier. Il ne savait pas comment elle allait réagir May. Mais de ce qu’elle peut lui dire, elle le prend assez bien. Contente qu’ils en parlent. Il a fait l’effort de le faire. Parce qu’elle mérite bien ça, après tout. Il a envie que ça fonctionne, avec elle. Alors il se devait de le faire. Il ne pouvait pas ne plus la contacter. D’autant plus que même si Weymouth n’est pas une des plus petites villes qui soient, ils se seraient forcément croisés tôt ou tard. Ça lui fait encore bizarre de se dire qu’il avance, qu’il tente le coup avec une jeune femme qu’il ne connait pas tant que ça, dans le fond. Mais Luke veut qu’ils se laissent une chance. Il veut apprendre à la connaître.

C’est pour cette raison aussi qu’il lui a demandé de venir ici, dans sa brasserie préférée. Il n’y avait plus mis les pieds depuis le décès d’Abby et ça lui a fait bizarre de revenir. Mais il est en bonne compagnie, Luke. Ce moment ne peut être que positif pour tous les deux. Mais oui, c’est aussi pour apprendre à la connaître qu’il l’a fait venir ici. Discuter de tout et de rien autour d’un bon petit plat. Mais avant ça, il ose lui parler de son idée de partir en week-end, en dehors de la ville. Sans Luisa. Sans aucune connaissance autour d’eux. Il se dit que ça ne peut que leur faire du bien, de se retrouver rien que tous les deux, loin des tracas de la vie ici à Weymouth. S’échapper ensemble le temps de quelques jours. Et May n’a pas l’air contre cette idée. Ça le fait sourire, Luke. Il s’en réjouit déjà.
La discussion change. Évolue. Le ton est doux, calme, posé. Ils dégustent doucement leur boisson, se souciant peu des personnes aux alentours, car il n’y a qu’eux, qui comptent à cet instant. Il se sent bien Luke. Apaisé. Les mots de May le font une nouvelle fois sourire. Ils en avaient besoin, pour avancer. Luke, il doit cesser de repenser au passé ou du moins, d’une façon différente. Il a le droit, lui aussi, d’être heureux. De l’être à nouveau. « M’en parle pas, ça fait tellement longtemps. Je n’ai jamais été un grand … dragueur ou romantique. » Qu’il plaisante. Romantique, il l’est Luke. Il peut l’être. Mais il ne fera jamais rien d'extravagant, car ce n’est tout simplement pas lui. « Maintenant que tu connais presque toute ma vie amoureuse, je suis curieux de – connaître la tienne. » Il boit une nouvelle gorgée de sa boisson, espérant ne pas mettre May mal à l’aise. « Enfin, sans que ça ne te dérange bien entendu. Je ne sais pas ce que tu as – vécu en Australie alors si ça te et mal à l’aise, tu n’es pas obligée d’en parler. » Il est juste curieux Luke. Il aimerait apprendre à la connaître. En savoir plus sur ses relations passées, pour essayer de découvrir quelle femme elle est, May. Et en attendant, il porte son attention sur la carte, propose à May de prendre ce qu’elle souhaite, non sans lui lancer quelques suggestions. « On va prendre une place de tapas à partager et deux repas du jour. C’est bien ça hein ? » Qu’il demande à May en face de lui, tout en souriant, s’adressant au serveur pour ne pas trop tarder à passer commande. « Et dis-moi, tu as des endroits que tu aimerais découvrir en Angleterre ? » Il pose les avant-bras sur la table. « D’ailleurs si tu le souhaites un jour, j’pourrais te faire visiter la caserne et – te présenter à mes collègues. » Il passe une main dans ses cheveux, le regard posé dans le sien. Heureux.

tw : abandon maternel.
Peut-être que cela marchera, cette fois. Que ce sera différent d’Ezra, différent de son histoire avec lui. Qui sait, au fond ? Elle sait cependant qu’Ezra et Luke sont très différents, même si elle connaît encore trop peu ce dernier, même si tout est encore à construire. Mais cela pourrait être du pareil au même, se finir en tout cas de la même façon. Pourtant, elle n’a pas envie de penser au négatif, May. Elle veut y croire – après tout, cela ne fait que commencer. Ce serait mauvais signe, que de déjà penser au pire. Cela donnerait l’impression de ne pas avoir d’espoir, de ne pas y croire vraiment, peut-être même de ne pas avoir envie que cela fonctionne. Mais elle en a envie, May. Pourtant, une partie d’elle ne peut s’empêcher que cela ne peut pas marcher. Qu’il y a trop de différences, qui pourraient les éloigner. Celles qu’elle essaie d’ignorer, d’oublier. Son rapport à la maternité, compliqué. Tout cela à cause de l’abandon de sa mère. Tout cela parce qu’un beau jour, cette dernière a décidé de partir. N’a plus jamais donné signe de vie à Maybelle. Elle en porte encore des séquelles.
Elle n’en parle presque jamais.
Alors elle ne se sentirait pas de l’expliquer à Luke.

Il est trop tôt pour les complications.
Elle veut juste profiter, passer un bon moment. Elle est déjà trop heureuse qu’il ait bien voulu la voir, trop heureuse qu’il fasse un pas vers elle, trop heureuse qu’il lui explique ce qu’il s’est passé l’autre fois. Trop heureuse, finalement, que tout rentre dans l’ordre. Plus heureuse encore, de ce week-end dont ils parlent à présent.
Maintenant, ils peuvent profiter de leur repas. Tranquillement. Cela a aidé, de dire ce qu’ils avaient sur le cœur. Elle le pense, May : elle se sent soulagée, elle se sent mieux désormais. Et c’est vrai, qu’ils sont deux bras cassés. « Non, vraiment ? » laisse-t-elle échapper en riant. En réalité, elle s’en doute. Il est presque timide, face à elle, Luke. Elle n’est pas vraiment mieux, pour le coup. Voilà d’ailleurs qu’il l’interroge sur sa propre vie amoureuse. « Il n’y a pas grand-chose d’intéressant à dire. » Elle hausse les épaules, lâche un soupir. Se souvenant d’Ezra. Elle en avait été très amoureuse, pourtant. Et elle ne doute pas qu’il l’aimait aussi. Mais la routine s’était installée. « J’ai été avec quelqu’un, longtemps. Mais ça devenait… trop routinier. Il ne faisait pas beaucoup d’efforts. La routine lui convenait. Pas moi. Puis j’ai perdu mon job, j’en ai eu marre, je suis partie et… arrivée ici. » La suite, Luke la connaît. Elle est venue s’occuper du b&b. Elle l’a rencontré. Une chose en entraînant une autre, voilà qu’ils se retrouvent à déjeuner en planifiant un week-end ensemble, maintenant. D’ailleurs, il va bientôt falloir commander la suite. « C’est bien ça. » confirme-t-elle, alors que Luke passe commande auprès du serveur. Serveur qui repart bien vite, les laissant poursuivre leur conversation.
Quels endroits aimerait-elle découvrir en Angleterre ? C’est une bonne question. « Je crois que c’est un faible pour la côte anglaise de manière générale, mais ce n’est pas très différent d’ici. » Elle lâche un rire, May. « Et toi ? Y’a pas un endroit où tu n’es jamais allé et que tu aimerais découvrir ? » Sait-on jamais. On n’a pas assez de toute une vie, pour tout voir, justement. « Ça me ferait très plaisir. » répond-elle en souriant, à propos de la proposition de Luke, de lui faire découvrir la caserne. Elle serait ravie de découvrir dans quel environnement il travaille, tous les jours. De rencontrer les personnes qu’il côtoie.

Il a l’impression que tout rentre doucement dans l’ordre. Que la tempête est passée. Que son mal-être s’est doucement dissipé et il ne peut que remercier May pour ça. Pourtant, jamais il n’aurait pensé que ce serait elle, qui lui ferait oublier ses maux et ses peines. Jamais il n’aurait pensé que ça serait elle, qui l’aiderait à avancer. Car au début, ils ne s’aimaient pas. Ils ne pouvaient pas se voir, bien que Luke l’ait aidée à retaper le bed & breakfast qu’elle a hérité de son grand-père. Il a fait pour être sympa, car sa sœur le lui a demandé. Et même si les débuts ont été assez houleux entre eux, ils ont fini par s’apprivoiser, par laisser tomber les armes et les barrières pour apprendre doucement à se connaître. Et petit à petit, Luke, il a découvert une femme bien différente de celle qu’il a vu les premiers jours. Petit à petit, son cœur s’est mis à battre un peu plus fort en sa présence et ce sont des sentiments qu’ils pensaient disparus à jamais qui sont revenus et qui font que maintenant, ils sont là. Car même s’il a merdé avec elle la dernière fois, Luke, il n’a pas envie de laisser tomber. Il n’a pas envie de la laisser filer. Alors il s’excuse. Lui explique ce qu’il s’est passé et May, elle est compréhensive. Bienveillante. Un visage qu’il ne lui connaissait pas, au début. Mais il est heureux, Luke, d’en apprendre plus sur elle. Sur son caractère. Sur qui elle est réellement. May, elle lui plaît. Depuis le début, en réalité. Elle lui a directement tapé dans l’oeil. Mais ce qu’elle pouvait bien montrer, au départ, l’a pas mal refroidi. Et puis il était bien trop fier, Luke, que pour l’avouer, les premiers mois.

Il lance une petite grimace à May à sa réflexion. Un vrai bras cassé. Il n’a plus l’habitude de tout ça et il ne le cache pas. Il est resté avec Abby pendant bien des années. Prêt à faire sa vie avec elle. Jusqu’à la fin. Et depuis bien longtemps. Car ils se connaissaient depuis qu’ils étaient gamins et ils étaient ensemble depuis le lycée. Il n’a jamais eu ce besoin de draguer, de faire la cour, de jouer de ses charmes. Il n’a jamais été très à l’aise avec tout ça en réalité Luke. Et visiblement, de ce qu’elle lui dit, elle est aussi un peu rouillée, May. Ça finit par le rendre curieux. Il prend un chemin un peu délicat, un peu indiscret, en lui faisant comprendre qu’il est curieux d’en savoir plus sur sa vie, avant lui. Avant Weymouth.
Il sent bien qu’elle est un peu hésitante, à lui parler de son passé. Mais pourtant, elle le fait. Elle lui en parle. Luke, il l’écoute. Attentivement. Faisant une petite moue sur ce qu’elle vient de lui dire. « Je vois … » Il prend une gorgée de sa boisson. « Et je peux te comprendre. Je trouve ça important d’entretenir la flamme, de continuer à surprendre l’autre. » Il lui glisse un léger sourire. Oui, il trouve ça important Luke. C’est ce qu’il a essayé de faire avec Abby. Continuer à la surprendre, à l’impression, à l’emmener un city trip le temps d’un week-end, en lui faisant des petits cadeaux de temps à autre, en prévoyant une soirée romantique rien qu’à deux au restaurant ou à la maison. « J’espère être à la hauteur, en tout cas. » Plaisante-t-il tout en lui souriant.

Le serveur ne manque pas de revenir vers eux pour prendre leur commande. C’est Luke qui s’exprime, annonce ce qu’ils vont prendre, non sans oublier de vérifier auprès de May si la commande est bonne. Et elle le confirme. Alors Luke tend les cartes au serveur qui repart rapidement, les laissant continuer leur discussion. « Je te comprends, il faut dire que la côte a son petit charme. » Il n’a jamais quitté la ville Luke. Il n’est jamais allé ailleurs qu’à Weymouth, mais de ce qu’il a pu voir ou entendre, les alentours ne sont pas si différents d’ici. « Je t’avoue que l’Irlande ou l’Écosse me tente bien. Les paysages m’ont l’air magnifiques ! » Nouveau sourire dans sa direction. Ce sont deux pays qui le tentent bien, Luke. Il sait que l’ambiance et les paysages sont bien différents d’ici. Ils ont une autre atmosphère. Alors pourquoi pas, en fin de compte, partir jusque-là avec May ? Il ne sait pas encore, Luke, mais ça le tente bien, soudainement. « Je ne travaille pas la semaine prochaine, on peut s’arranger ça à ce moment-là si t’as pas trop de monde ? » Il se réjouit quelque peu Luke, de lui montrer son univers, qu’elle rencontre ses collègues, sa seconde famille.

tw : abandon maternel.
Peut-être que cela pourrait marcher. S’ils se laissent une chance. Si elle se laisse y croire, un peu. Si elle parvient à passer outre quelques insécurités, quelques détails de son propre passé. Si elle parvient à accepter le fait que Luke soit père. Non, dans le fond, ce n’est pas un problème. C’est juste qu’elle n’est pas sûre de pouvoir être belle-mère. Même si elle est adorable, Luisa – elle ne prétend pas le contraire, Maybelle. Elle est juste persuadée d’être nulle avec les enfants, de ne pas avoir cela dans le sang. Craint de ressembler trop à sa mère. Elle y revient toujours, finalement, à cette dernière. Parce que cela fait partie de sa vie, partie d’elle. Parce qu’elle ne s’en est jamais remise, Maybelle. Et elle n’en parle pas beaucoup. N’en a pas parlé à Luke, d’ailleurs, alors même que c’est l’un des fondements de sa vie. Elle préfère l’oublier, le nier, la plupart du temps. Ne plus jamais en parler. Pourtant, c’est là, tout le temps, avec elle. Tout le temps là, entre Luke et elle.

Peut-être que cela pourrait marcher, oui. Si May avait un peu plus confiance en elle, si elle croyait un peu plus en eux. Elle croit qu’elle pourrait être bien, avec Luke – et ce, même s’ils sont partis du mauvais pied. Même s’il leur aura fallu des mois, pour se rapprocher, se comprendre, se connaître, s’attacher. En tout cas, la présence de Luke lui fait du bien, comme maintenant. C’est l’occasion de s’ouvrir, de parler de l’autre fois, de parler d’eux, de leurs précédentes histoires. Alors May, elle évoque Ezra, combien leur relation s’est engluée dans la routine, la poussant à y mettre un terme, puis à quitter l’Australie. « Ouais, je suis d’accord. » Quelque part, c’est rassurant de l’entendre. Rassurant qu’ils soient du même avis. Peut-être sont-ils sur la même longueur d’onde, alors. Peut-être. Ils ne peuvent pas savoir si cela va marcher, ils ne peuvent pas prédire l’avenir, mais ils peuvent se lancer, essayer quelque chose, voir où cette histoire peut les mener. « J’en doute pas. Et j’espère que moi aussi. » Seul l’avenir le leur dira. S’ils seront à la hauteur. S’ils seront la bonne personne, l’un pour l’autre.
En tout cas, May, elle se réjouie de ce petit week-end ensemble dont ils parlent à présent. L’idée la fait rêver – maintenant, elle a hâte de cette petite escapade. « C’est vrai, c’est pas comparable au reste. » Elle, en tout cas, elle aime beaucoup la mer, May. C’est peut-être parce qu’elle était juste à côté de celle-ci, à Melbourne. Elle en a gardé l’habitude, un goût prononcé pour la mer. « C’est vrai, je ne connais pas du tout non plus. T’as jamais quitté l’Angleterre ? » Elle est curieuse, la blonde. Curieuse de connaître ses voyages. Curieuse de savoir à quoi ressemble sa vie, a ressemblé son passé. « La semaine prochaine me paraît parfaite. » Elle lui adresse un sourire, pour ponctuer ses mots, May. Oui, la semaine prochaine, ce sera très bien – cela lui paraît même encore trop loin. Il n’y a pas à dire, elle a vraiment hâte d’y être.