Gustave, il fait parti de ceux qui ne pourraient pas avoir un métier redondant, le genre où chaque journée est exactement similaire à la précédente. Il ne pourrait pas non plus rester assit toute la journée à attendre que le temps passe, Gustave, il a besoin de bouger. De courir presque, partout, de se précipiter d'un bloc à l'autre, et de tenter de sauver la vie des gens. Comme une promesse faite à sa mère qu'il n'a pas pu aider, parce qu'il était trop jeune, que c'était peut-être pas non plus son rôle, ça aurait plutôt dû être l'inverse. Alors Gustave, aujourd'hui, il ne dit jamais non. Quand bien même le cas est difficile, que les chances sont minces, il se doit d'essayer. Et ça, ses collègues, ils l'ont bien comprit, que le châtain ne dirait jamais non à un échange de dossier, de garde, d'horaires. Du moment qu'il y a des vies en jeu, Gustave, il fonce. Et c'est un de ces échanges qui l'amène aujourd'hui à récupérer le cas d'Andrea Lewis. Ce nom, il lui parle, pas comme quelque chose de vague ou lointain. Il parcoure le dossier des yeux, jusqu'à ce qu'un petit sourire illumine son visage.

C'est bon, il se souvient. Andrea, c'est un gars qui est un peu plus jeune que lui, et qui a subit un accident sur un tournage. Cascadeur, ou acteur il ne se souvient plus trop de ça par contre. Un très mauvais accident, puisque son collègue d'un autre hôpital n'a pas eu d'autre choix que de lui amputer la jambe. Gustave, il aurait aimé être en charge du dossier à l'époque, puisqu'il était en stage là-bas. Il se dit que parfois, il aurait peut-être pu trouver une autre solution, mais y en avait sûrement pas pour qu'un collègue plus expérimenté décide d'amputer. Le dossier dans les mains, Gustave ajuste sa blouse blanche avant de rejoindre les couloirs menant aux salles d'examens. Andrea a déjà été placé dans l'une d'elles, et il attend son médecin sans probablement savoir que c'est l'interne qui avait été là pour le soutenir du mieux possible à l'époque. Interne devenu résident. Andrea ne fait pas parti de sa spécialité, mais il a échangé le cas avec une autre résidente, et d'un côté, c'est pour le mieux. Parce que Gustave est content de revoir un ancien patient, si on peut dire ça ainsi. Frappant deux coups à la porte, il se redresse avant d'entrer, balayant la pièce du regard jusqu'à croiser les yeux noisette d'Andrea. " Mr Lewis, bonjour. Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi, j'ai été votre interne quand vous avez été admis à l'hôpital de Bournemouth. Je suis le Dr. Mayfair, je vais m'occuper de vous aujourd'hui. "

Un calvaire, une vie de chien, cette amputation qui lui pourrit la vie, à Andrea. Il supporte rarement le fait d’être en fauteuil roulant, malgré les indications des médecins. Il préfère de loin rester en béquilles, quitte à avoir mal aux mains ou à risquer de tomber. Il a encore beaucoup de mal à marcher en équilibre avec sa prothèse à la jambe droite, l’obligeant à avoir un autre appui. Il connaît le regard de sa mère quand elle le voit arriver en béquille plutôt qu’en fauteuil. Néanmoins, le jeune homme a beaucoup de mal à supporter le fait d’être presque complètement dépendant du monde qui l’entoure. Chaque action, un trottoir dans la rue, monter dans une voiture, se déplacer dans un bâtiment fermé qui n’est pas équipé correctement : Andrea se confronte au quotidien à ce handicap qu’il n’a toujours pas accepté.
Tout ça à cause d’une putain de conneries. Parce qu’il n’avait voulu n’en faire qu’à sa tête et qu’il avait été obsédé par cet homme.

Aujourd’hui, il se retrouvait avec une jambe en moins, des contraintes constantes et l’impossibilité de reprendre le métier d’acteur dont il avait toujours rêvé. Des espoirs carbonisés, envolés dans un nuage de cendres par un simple coup de vent de la vie. Il regrettait, du plus profond de son être son comportement. Andrea passait parfois ses nuits d’insomnie à se refaire chaque situation, chaque mauvaise action le menant vers le gouffre. Il se rendait compte aujourd’hui combien ses erreurs, bien qu’infimes au début, lui coûtaient cher aujourd’hui.
Son rendez-vous régulier avec son médecin pour ajuster la prothèse et faire la rééducation avait été posé pour aujourd’hui. Mais Andrea n’avait qu’une envie : ne pas sortir du lit, s'isoler toute la journée dans son cocon, au fond de sa couette et faire le mort. C’était sans compter sur ses colocataires, le poussant à y aller, le motivant assez pour lui redonner le sourire le temps d’un instant.

Malgré tout, l’attente dans la salle s’était faite avec une mine dépitée, comme si tous les malheurs du monde s’abattaient sur Andrea. Lorsque la porte s’ouvrit, il leva à peine les yeux au-dessus de la blouse blanche. Ce fut la voix différente mais familière de son médecin qui capta son attention. Il découvrit avec surprise la présence du Dr Mayfair. L’ancien interne avait pris du galon en un an, de l'assurance aussi.
« — Dr Mayfair. Je me souviens de vous, en effet. Pourquoi est-ce que c’est à vous de vous occuper de moi aujourd’hui, ce n’était pas le Dr Boone qui devait continuer les séances de rééducation ? » demanda-t-il, les sourcils froncés. Pourquoi ce changement soudain de médecin ?

Il y a des patients comme ça, qui nous marquent d'une certaine manière. Des cas parfois injustes, ou si importants qu'ils restent gravés dans un coin de notre mémoire. Andrea en faisait parti. C'est probablement pour ça qu'il a fait médecine, au delà de pouvoir sauver des personnes comme aurait pu l'être sa mère, quand il était encore temps. Mais Gustave l'a surtout fait pour les patients en général, ceux qui ont besoin d'une main tendue quand ils sont au plus bas,et de solution à apporter. Quand en tant qu'interne, il avait été sur le cas de ce patient, Gustave en était resté marqué. Parce que ce gars d'à peu près son âge, peut-être un peu plus jeune, il méritait certainement pas qu'on doive lui amputer la jambe. Mais certains cas sont comme ça, trop difficiles pour espérer qu'il puisse un jour la récupérer, sa jambe, alors des fois il faut juste mieux amputer et offrir une meilleur qualité de vie.. Bien que ce soit très subjectif pour beaucoup de personnes.

Alors qu'il se rend dans la salle d'attente, le dossier de son patient dans la main, Gustave est quelque peu impatient de le revoir. Parce qu'il aimerait savoir comment il va, ce qu'il traverse au quotidien et de quelle manière il pourrait l'aider, Gustave. Quand ses prunelles croisent enfin celles de son patient, il s'équipe de son plus beau sourire, tendant la main vers Andrea pour le saluer de manière formelle. " Le Dr. Boone est malheureusement absent aujourd'hui, alors je vais m'occuper de vous. Si ça ne vous pose pas de problèmes, bien entendu ? " Gustave hausse un sourcil avant de lui désigner la porte vers laquelle ils se dirigent, ouvrant cette dernière en attendant de voir si Andrea accepte de le suivre, ou non. " Je vous promet que mes mains sont aussi douces que les siennes. " Il tente une blague semi-sérieuse, rien que pour détendre un peu Andrea, ou au besoin, juste le faire sourire avec un peu de vérité. Il a même certainement des mains encore plus douces, parce que Gustave est également chirurgien, ce qui n'est pas le cas du Dr. Boone.