ouvre-moi les yeux

ft. @Fanny Lewis

tw : amputation. blessure.

Il y a toujours toute une vie à reconstruire quand on perd quelque chose, peu importe la perte. La reconstruction est fatigante, longue. Elle nécessite d’être vécue au jour le jour si on veut en voir le bout, parce qu’on abandonnerait sur le champ si on apercevait tout le chemin à parcourir. Il est toujours plus facile de regarder en arrière, au bout du chemin, pour voir tout ce que l’on a parcouru que l’inverse. Andrea avait tendance à rarement se retourner, se concentrant trop sur l’avenir, sur ce qu’il restait encore à faire. En cherchant à oublier tout ce qu’il avait perdu à cause de cet accident et à force de prendre sa rééducation à la légère, il cessait par la même occasion d’avancer.
Cela faisait désormais plus d’un an que son accident avait eu lieu, presque un an et demi maintenant. Pour autant, marcher avec sa prothèse semblait relever du miracle. Il se battait, de toute évidence, contre la perte de ce membre. Mais il affrontait cette épreuve à reculons, en n’en faisant qu’à sa tête, comme à son habitude. Régulièrement, à force d’essayer de marcher avec sa prothèse sans être suffisamment méticuleux, il blessait son moignon et souffrait le martyr en grinçant des dents.
Il ne supportait pas de se déplacer en fauteuil roulant, alors il se levait souvent, marchant en béquille ou à cloche-pied en prenant des risques irraisonnés. Ses colocataires l’engueulaient, mais pour autant, Andrea ne changeait pas ses habitudes. Même son médecin de rééducation s’y mêlait, mais il faut croire qu’Andrea n’écoute personne. Ou presque.

Fatigué d’entendre tout le monde lui rabacher la même chose, Andrea accueillit la proposition de sa mère à bras ouverts. Elle l’avait invité à prendre un bon souper pour la soirée et même si la maison de sa mère n’était pas la porte à côté, Andrea se fit conduire et emprunta ses béquilles - refusant catégoriquement le fauteuil. Lorsqu’il frappa à la porte, il appréhendait encore le regard de sa mère sur son fils estropié et la lueur de déception qui aurait pu traverser son visage.
Constamment, il se répétait qu’après avoir ruiné sa carrière d’acteur, il avait par la même occasion détruit le regard de sa mère sur lui. Toutes ces idées le faisaient frissonner. L’air n’était pourtant pas mauvais dehors, mais il n’avait qu’un pauvre gilet et peut-être qu’il aurait dû emporter quelque chose de plus chaud. Devant la porte, il attendait, les mains tremblantes sur ses béquilles, sentant son estomac se tordre d’appréhension.
Je suis sûr qu’elle a oublié.

Tu étais impatiente de retrouver Andrea pour le souper de ce soir. Tu avais une journée particulièrement mouvementée à la pâtisserie, mais tu avais tout fait pour te dégager un peu de temps afin de préparer un délicieux dessert qui suivra le repas simple que tu allais préparer. Tu avais décidé de ne pas trop te prendre la tête, un simple plat de spaghettis devrait faire l'affaire. Il faut dire que ton talent concerne plutôt les pâtisseries et que pour le reste, tu ne te considérais pas comme la meilleure cuisinière qui soit. Tu te débrouillais, mais tu n'avais pas forcément du plaisir à préparer des plats, contrairement aux desserts. Tu étais revenue à l'appartement une heure avant le repas pour avoir le temps de prendre une bonne douche et de préparer gentiment le repas avant que ton fils n'arrive. Tu voulais que tout soit parfait pour votre soirée à tous les deux. Depuis qu'il avait quitté la maison pour rejoindre une colocation, tu mettais tout en oeuvre pour le revoir de manière assez régulière. C'était évidemment bien plus dur pour toi de le voir partir de la maison que pour lui. Tu sais que de ton côté tu avais adoré prendre ton indépendance, mais ton enfance avait été aussi bien différente de celle de ton fils. Marquée par des difficultés que Andrea n'avait pas connue. Pour lui c'était différent, ce n'était pas parfait non plus. Tu aurais aimé qu'il puisse avoir un père également, mais les choses se sont passées ainsi et tu crois qu'il n'a pas trop souffert de cela non plus.

Tu entends frapper à la porte et tu t'empresses d'aller ouvrir. Tu venais de terminer de mettre la table et le repas était bientôt prêt. Tu ouvres la porte et tu poses ton regard sur celui de ton fils, un large sourire sur ton visage. Tu ne peux empêcher tes yeux de dévier sur ses béquilles et sur sa jambe amputée, ça te brise le coeur à tous les coups. Bonjour mon chéri, je suis tellement contente de te voir. Tu lances tout en le prenant dans tes bras sans vraiment lui laisser le choix. Entres seulement, j'espère que tu vas bien ? Tu faisais de ton mieux pour ne pas trop parler de sa jambe et lui faire la morale. Tu sais à quel point c'est pesant pour lui et tu ne voulais pas créer de dispute autour de tout cela.