from the sun to the moon (@Harry Gupta)

Pas envie d’être seule, ce soir. Ou pas envie de rester chez elle, plutôt. Si c’était de la compagnie qu’elle cherchait, elle serait allée boire un verre, aurait peut-être ouvert Tinder, ou bien serait partie faire la fête toute la nuit. Mais non, elle n’est pas de cette humeur-là, Ada, ce soir. Etrangement. Peut-être est-ce Davan qui lui fait trop tourner la tête. Peut-être qu’elle s’est un peu trop accrochée, mine de rien. Il n’est pas la seule victime de son couteau planté dans le dos – elle aussi, elle a souffert de sa propre trahison. S’est fait avoir à son propre jeu, à trop jouer avec le feu. Jamais elle ne s’était imaginée qu’elle s’attacherait. Et pourtant. Cela fait un bon moment, maintenant, que l’article est sorti. Elle essaie encore de se rattraper, de se faire pardonner, même si c’est sans doute impossible. Et malgré tout, il y a eu l’autre fois. L’autre fois où Davan a succombé à ses charmes. Elle doit l’avouer, Ada : elle-même, elle pensait que cela n’arriverait pas.
Que cela n’arriverait plus.
Parce qu’il a la rancune tenace. A raison.

Pas envie d’être seule ce soir. Pas envie de se retrouver en tête-à-tête avec elle-même, chez elle, plutôt. Pas envie de ressasser, de se poser un milliard de questions. Elle avait besoin de sortir, de s’aérer, de s’évader. Finalement, Adalia, elle s’est décidée pour une petite promenade sur la côte – elle connaît, depuis le temps, les bons spots. Alors elle a pris sa voiture, pour se diriger vers Osmington Mills. S’excentrer un peu de Weymouth. Elle savait que ce serait bien, que ce serait agréable. Qu’elle pourrait même, sans doute, admirer le coucher du soleil, comme elle le fait parfois.
Elle a garé sa voiture sur le parking, avant de partir sur le chemin indiqué. Elle s’est laissé porter, la brune, par le vent, par l’odeur et l’air marins. A ressenti cette impression de respirer, vraiment. Comme on oublie trop de le faire, à Weymouth. Elle est là, alors, marchant tranquillement, se disant que peut-être, il faudrait songer à trouver un endroit où se poser pour contempler le coucher du ciel, qui commence à décliner doucement dans le ciel. Et puis, elle aperçoit un banc où se trouve installé un homme. Peut-être pourra-t-elle lui demander si elle peut s’asseoir aussi, puisqu’il n’y a l’air d’y avoir personne d’autre, avec lui. Elle s’approche alors, Ada. Doucement. « Bonsoir. Je peux m’asseoir ? » lui demande-t-elle poliment, avec un sourire. Mais c’est quand elle le voit vraiment, qu’elle se fait la réflexion que sa tête lui dit quelque chose. « Je crois vous avoir déjà croisé quelque part. » Elle espère ne pas avoir l’air bête, ni suspecte. Mais après tout, Weymouth n’est pas si grande – elle, elle a l’impression, souvent, de connaître beaucoup de monde. « Au journal de Weymouth, non ? » Elle peut se tromper. Mais il lui semble bien que c’était là, Ada.

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from the sun to the moon (@Harry Gupta)

Cela fait un moment, maintenant, qu’elle est revenue à Weymouth. Au début, elle avait du mal. Maintenant, elle s’y est faite. Elle est capable d’apprécier un certain nombre de choses, qu’elle avait comme oubliés. Le bruit des vagues qui s’écrasent sur les rochers. Le son des mouettes, l’odeur de l’embrun. Les couchers de soleil au-dessus de l’eau, comme maintenant. Elle avait oublié les choses simples, Adalia. Les petites choses de la vie. La possibilité de trouver du beau, de l’agréable, dans le quotidien. Surtout à Weymouth. Elle doit l’avouer : c’est très différent de Londres, très différent de ce qu’elle a connu ces dernières années. Mais peut-être avait-elle besoin de cette tranquillité. Besoin d’un havre de paix pour se poser et se reposer, quand tout part en vrille. Quand elle enquête sur des sujets difficiles. Elle a décidé de faire de Weymouth en quelques sortes son pied-à-terre, parce qu’elle bougera forcément, de toute façon. Mais c’est là qu’elle revient, maintenant – plus Londres. Elle y retrouve les siens, elle y retrouve son appartement. Elle y retrouve une nouvelle vie, oubliée depuis des années, même complètement laissée de côté.

Elle avait peut-être besoin de changements. Besoin d’autre chose. Ou peut-être qu’elle arrive à une certaine lassitude de la grande ville, qui sait. Elle-même, n’en a aucune idée. Elle ne sait pas, Ada, ce qu’elle voudrait sur le long terme. Mais en ce moment, son cœur est ici. Peut-être à cause de Davan, peut-être parce qu’il y a aussi sa famille. C’est peut-être un tas de petites raisons qui l’ont poussée à revenir, à rester finalement. Ou peut-être que c’est tout ce dont elle avait besoin. Ah, décidément, les promenades sont bien trop sujettes à l’introspection.
Elle aperçoit alors ce banc, Ada, où il y a déjà quelqu’un d’assis. Un jeune homme auquel elle s’adresse, pour lui demander si elle peut s’asseoir. « Merci. » Et puis, les connexions se font dans son cerveau et elle se rend vite compte qu’elle l’a déjà croisé avant. Elle en est même certaine, Adalia, en dépit de l’hésitation qui transparaît dans ses mots et sa voix quand elle l’indique à l’homme. Finalement, elle le resitue – se souvient qu’elle l’a rencontré au journal de Weymouth. Ce qu’il confirme, en se présentant. « Tout à fait, je me souviens. » lui répond-elle, avec un sourire, désormais assise sur le banc à ses côtés. Elle s’est déjà rendue plusieurs fois à ce journal, Ada. Elle a même écrit quelques piges, par-ci par-là. Mais elle n’y travaille pas au quotidien. Son boulot officiel reste à Londres, où elle revient de temps à autre. « Oui, c’est ça. Adalia Alvar, mais vous pouvez m’appeler juste Ada. » Elle hausse les épaules. C’est souvent ainsi qu’elle se présente, la brune, quoiqu’elle signe ses articles de ses prénom et nom complets. Son attention se reconcentre un instant sur le coucher de soleil, face à eux, alors qu’Harry lui demande si elle les aime aussi. « Oui. Mais je ne prends pas assez le temps de les regarder. » avoue-t-elle. Nouvel haussement d’épaules, comme pour l’accompagner. « Et vous ? » Elle est curieuse. Vient-il souvent se poser sur ce banc, pour regarder le soleil se noyer dans l’océan ? Peut-être qu’il apprécie plus les choses du quotidien qu’elle, après tout. Elle, elle ne prend pas assez le temps, Ada. Tout va toujours trop vite, trop intensément, dans sa vie. Elle aurait pourtant bien besoin de calme et de douceur.

from the sun to the moon (@Harry Gupta)

Elle se présente toujours par son prénom complet. Surprenant peut-être, quand on sait qu’elle préfère qu’on l’appelle Ada. Quand on sait que c’est ainsi qu’elle signe ses articles, reportages. On la connaît plus sous ce prénom-là, en oubliant qu’il y a trois petites lettres qui s’ajoutent pourtant au reste. Adalia. C’est le prénom choisi, à l’origine, par sa mère et son père, en l’attendant. Le prénom, écorché avec le temps. Elle ne sait même plus exactement de quand cela date, d’où cela sort. Si c’était un moyen d’avoir l’air cool ou une façon de voir son nom se faire un peu moins écorcher. C’est qu’on a souvent mal prononcé son nom, pour commencer – alors avec le prénom, c’était le combo. On l’a appelée Adelia, souvent, erreur la faisant grincer des dents. Alors oui, Ada, tout simplement, ce n’est sans doute pas plus mal. Au moins, c’est simple et efficace, cela limite la casse. Et puis, elle aime bien. Adolescente, elle s’est trouvée classe, comme cela. A s’appeler, se présenter Ada Alvar.

Aujourd’hui, c’est comme cela qu’elle signe ses papiers. Comme cela qu’elle s’appelle, pour la majorité. C’est son identité, c’est ce qui incarne la journaliste d’investigation qu’elle. C’est celle qui a fait parler d’elle, il y a bientôt deux ans, après le long reportage qu’elle a écrit suite à son histoire avec Davan. Rapprochement provoqué, recherché, pour pouvoir ponctuer son enquête de quelques détails croustillants, concernant une affaire qui doit bien remonter à vingt ans. Franchement, c’est sans doute le pire qu’elle ait pu faire au cours de sa carrière, et elle s’en mord encore les doigts, Ada. La preuve, elle pense encore à Davan, alors qu’elle est venue sur la côte pour faire une promenade.
Bientôt, la voilà qui s’approche d’un inconnu, sur un banc, pour savoir si elle peut s’asseoir à côté de lui. Il lui dit bien quelque chose, alors elle tente le coup, la brune. Bingo – elle l’a croisé au journal de la ville, ceci explique cela. Et, naturellement, elle se présente, insistant sur son diminutif – tant pis, si cela peut paraître puéril, comme une adolescente qui veut avoir l’air cool en choisissant sa propre appellation, différente du prénom choisi par ses parents. La voilà assise, à côté de cet homme. Harry Gupta. Il semble aimer les couchers de soleil, lui aussi. En témoigne sa question, le fait qu’il se trouve là, également. « C’est une belle façon de voir les choses. Il y a souvent des promeneurs qui viennent s’asseoir à côté de vous ? » demande-t-elle en souriant. Ce soir, c’est elle, la promeneuse qui est venue s’asseoir à ses côtés sur le banc. Et c’est agréable. Les mots d’Harry sont pleins d’une sagesse, dont manque terriblement la Alvar. « Vous avez raison. On ne prend pas assez le temps de le faire. » Quoique – peut-être le fait-on plus à Weymouth, qu’à Londres. Elle doit l’admettre, Ada : elle est plus de ceux qui courent partout, obnubilés par leur boulot, que ceux qui prennent le temps d’observer, de vivre, de ressentir les choses. A tort, elle en a conscience. « C’est vrai. Rien qu’en fonction des saisons, ce n’est pas pareil. » Les couchers de soleil de l’hiver n’ont indéniablement rien à voir avec ceux de l’été. L’été, ils sont lumineux, vifs – l’hiver, ils sont empreints de couleurs froides, à l’image de la saison. Cela la laisse songeuse, Ada. Un instant, elle se perd dans ses pensées, et dans la contemplation du soleil qui vient se coucher.
Elle revient à la réalité aux mots d’Harry. Autant dire qu’elle ne les avait pas vus venir – mais son visage se fend aussitôt d’un sourire amusé. « Noki ? » Elle en lâche même un rire, parce qu’effectivement, le lien n’est pas perceptible du premier coup. « C’est plutôt adorable, cela dit. Ou mystérieux. On n’est pas obligés de devoir tout expliquer. » La voilà qui rit, encore. Ironique, peut-être – elle, elle aime percer les mystères. C’est pour cela qu’elle enquête, pour cela qu’elle fait ce boulot-là, la brune.

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